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Réclamations et suivi d'accidents

À quelle date un travailleur redevient-il capable d’exercer son emploi à la suite d’une lésion professionnelle sans séquelles?
Publié le: 29/01/2019

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Simple, direz-vous! Lorsque le médecin traitant émet, dans un rapport médical, une date de consolidation, sans séquelles ni atteinte permanente.

Habituellement, lorsque la lésion professionnelle est consolidée par le médecin traitant, sans limitation fonctionnelle ni atteinte permanente, la date de capacité à exercer son emploi concorde avec la date de consolidation émise. Par conséquent, les indemnités de remplacement du revenu (IRR) et les prestations d’assistance médicale cessent à cette date.

La détermination de la capacité à exercer son emploi s’appuie, en autre, sur l’article 57 LATMP qui précise que le droit à l’indemnité de remplacement du revenu s’éteint au premier des événements suivants, 1) lorsque le travailleur redevient capable d’exercer son emploi, (sous réserve de l’article 48).

Cependant, lorsqu’une lésion professionnelle n’est pas consolidée par le médecin traitant, l’employeur peut obtenir un rapport d’un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l’un ou plusieurs des sujets de l’article 212 LATMP.

Si le rapport du médecin expert choisi par l’employeur mentionne une date de consolidation sans séquelles, alors que le médecin traitant n’en mentionne aucune, ce rapport d’expertise est transmis à la CNESST qui l’acheminera au Bureau d’évaluation médicale (BEM).

Quelques mois plus tard, le BEM consolide la lésion à la date de l’examen médical du médecin de l’employeur, précise qu’il n’y a aucune limitation fonctionnelle de la lésion et que le travailleur n’a plus besoin de réadaptation. Il en découle que l’état du travailleur ne requiert plus d’assistance médicale. L’employeur se dit que les prestations d’assistance médicale et l’IRR reçue après cette date de consolidation ne sont donc « pas dues en raison de l’accident du travail ».

La Commission étant liée par l’avis du BEM, rend une décision en conséquence. L’employé et l’employeur sont avisés de la date de consolidation retenue. Il s’agit d’une décision médicale. Si l’une des parties n’est pas d’accord, la contestation d’ordre médical peut se poursuit au Tribunal administratif du Travail (TAT).

Jusque-là, ça va mais, lorsque la CNESST émet en même temps, une décision administrative qui porte, cette fois-ci sur des aspects administratifs comme : la relation, la capacité à reprendre son emploi, le moment où cesse les IRR, etc., cela peut porter à interprétation.

Le caillou dans la marre

C’est justement ce qui s’est produit en 2015, lorsque la CSST (depuis la CNESST) a mis en place une politique à l’effet que la date de capacité et de fin de paiements des traitements correspond toujours à la date à laquelle un travailleur en est informé par son médecin traitant ou la Commission.

Dans la même veine, elle ajoutait que l’indemnité de remplacement du revenu (IRR) et les prestations d’assistance versées entre la date de consolidation médicale et la décision de capacité de travail sont reçues avec droit et que les prestations versées demeureront au dossier de l’employeur.

Pour appuyer ses prétentions, elle se référait, en partie, sur l’arrêt rendu par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Société canadienne des postes c. Morissette1 et sur une jurisprudence partagée sur ces questions.

(Cet arrêt concerne la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 27 septembre 20062).

Cet arrêt visait le droit applicable à une situation de fin de droit à l’IRR chez un employeur personnellement tenu responsable des prestations3 pour lequel la loi prévoit des dispositions particulières. En outre, dans cette affaire, il s’agissait de l’application d’une clause de convention collective4 en matière de recouvrement.

Cette nouvelle position de la CNESST, à l’époque, sur la date de capacité, de fin du droit aux IRR et de fin de paiement d’assistance médicales pour les travailleurs dont la lésion est consolidée sans séquelles avait pour effet « d’annuler » la procédure d’évaluation médicale pour les employeurs!

Malgré les conclusions de la Cour d’appel dans Morissette et des nouvelles politiques de la CSST, plusieurs juges administratifs étaient d’avis que le droit à l’assistance médicale et le droit à l’IRR prenaient fin à la date de capacité, soit à la date où la lésion professionnelle est consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles, le tout conformément au premier paragraphe de l’article 57. Ces juges mentionnaient donc qu’il est possible de rétroagir.

Décision récente de la Cour d’appel du Québec sur la position de la CNESST

Récemment, la Cour d’appel du Québec, dans un arrêt rendu le 29 novembre 20185, a conclu que la décision du TAT était raisonnable, en concluant notamment que le travailleur était redevenu capable d’exercer son emploi à une date antérieure à celle de son véritable retour au travail.

Elle confirmait la décision de la Cour supérieure ayant rejeté le pourvoi en contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue par le Tribunal administratif du travail (TAT), le 5 mai 2016, dans Steamatic BCQ inc et Lorrain6.

Selon la Cour d’appel,

[6] … la Commission s’appuie sur une compréhension erronée du rôle des tribunaux supérieurs en matière de contrôle judiciaire…

[53] … la Commission reconnaît que la norme de la décision raisonnable s’applique ici. On ne plaide pas ici l’existence d’une controverse jurisprudentielle devant être résolue

[54] … la Cour explique que le fondement de la décision du TAT repose sur une analyse contextuelle. Au terme de sa réflexion, le TAT retient une date à laquelle le travailleur redevient capable d’exercer son emploi qui est fonction de sa condition médicale (conclusions médicales du BEM, art. 221), alors que rien ne justifie qu’il soit considéré inapte au travail. À la date retenue, il n’est plus présumé incapable, sa lésion étant consolidée (art. 46) et n’a plus besoin de réadaptation (art. 47). Il n’a donc plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu qui s’éteint à cette date (art. 57). Celle-ci coïncide également la date à laquelle « l’état » du travailleur ne requiert plus d’assistance médicale (art. 188). Les prestations d’assistance médicale ne sont donc pas « dues en raison de l’accident de travail » du travailleur (art. 326). De l’avis de la Cour il s’agissait là d’une solution raisonnable au problème soumis au TAT qui repose sur une analyse tout autant raisonnable des faits et du droit.

Cet arrêt apporte un gros gain financier pour les employeurs. La procédure d’évaluation médicale n’est plus un recours théorique. Bravo!

Pour le Tribunal administratif du travail (TAT), il s’agissait déjà du courant majoritaire. La date de capacité est une question de fait qui doit être appréciée par le Tribunal, ce qui n’amène pas de solution unique ni systématique. Néanmoins, en l’absence de preuve contraire ou de circonstances particulières, en règle générale, la date de capacité correspond à la date de consolidation de la lésion, et ce, dans la mesure où celle-ci n’entraîne pas de séquelles permanentes.

Je vous invite à lire ces jugements.
Bonne lecture!


  1. Société canadienne des postes c. Morissette, 2010 QCCA 291 (CanLII)
  2. Morissette et Société canadienne des Postes, 2007 QCCLP 5893 (CanLII)
  3. Nos gras
  4. Nos gras
  5. Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail c. 9229-6177 Québec inc., 2018 QCCA 2007 (CanLII)
  6. Steamatic BCQ et Lorrain, 2016 QCTAT 2778 (CanLII)

 

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