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Réclamations et suivi d'accidents

La Cour d’appel apporte des précisions sur l’article 326, LATMP
Publié le: 05/04/2018

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Dans l’affaire Supervac 2000, l’employeur avait demandé à la CLP un « partage de coûts » pour avoir été « obéré injustement » (art. 326 (2), LATMP), et sa demande avait été accueillie en vertu de l’alinéa 1, ce qui était inhabituel.

La Commission de la santé et sécurité du travail d’alors (CSST) en avait appelé de la décision Supervac 20001, qui s’est rendue jusqu’à la Cour d’appel. Entre temps, la CSST avait émis un moratoire sur le traitement des demandes, par les employeurs, sur le transfert de coûts sur la notion d’obéré. Une politique interne a été émise, à cet effet, en juin 2015.

Le 24 janvier dernier, la Cour d’appel a rendu la décision tant attendue par les employeurs. Il s’agit de la cause Commission de la santé et de la sécurité du travail c. 0969-4654 Québec inc.2 Cette décision a trait principalement à l’interprétation de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP).

Mais avant de soulever les messages importants de cette décision, revenons un peu en arrière.

Retour sur les faits

En 2011, le travailleur a subi un accident du travail. En cours de consolidation, son médecin autorise un retour progressif. L’employeur demande au médecin traitant de se prononcer sur des travaux en assignation temporaire pour la période restante. Le médecin accepte.

À la suite d’un différend quant à l’interprétation de la portée de l’autorisation de l’assignation temporaire entre le travailleur et les membres de la direction, l’employé se met en colère, devient violent et quitte les lieux du travail. L’employeur trouvant son comportement inacceptable le congédie sur-le-champ.

La lésion n’étant pas consolidée au moment du congédiement, la CSST reprend le versement des IRR. L’employeur demande alors un partage de coût à la Commission alléguant être « obéré injustement » (article 326 (2), LATMP).

Cette demande est refusée par la CSST. L’employeur la conteste jusqu’à la Commission des lésions professionnelles (CLP).

La décision de la CLP3

Devant la CLP, l’employeur soulève, dans un premier temps, que le congédiement constitue une situation d’injustice au sens du deuxième alinéa de l’article 326 de la LATMP puisqu’il a été fait pour une cause juste et suffisante.

Le juge écrit alors :

[52] Dans le cadre d’une argumentation écrite supplémentaire fournie après l’audience, le procureur de l’employeur argue que son client ne devrait pas être imputé du coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée après le 14 mars 2012 puisqu’il découle de l’interruption de l’assignation temporaire consécutive au congédiement du travailleur. Il prétend que cette indemnité n’est donc pas « due en raison de l’accident du travail », mais plutôt à cause du congédiement. Il s’appuie sur le principe général d’imputation prévu au premier alinéa de l’article 326 de la loi pour affirmer que ce montant ne peut être imputé à l’employeur…

Après analyse, la CLP est d’opinion, entre autres, que l’article 326 (2) de la LATMP ne vise que :

[110] les situations de transfert total du coût lié à des éléments relatifs à l’admissibilité même de la lésion professionnelle, ce qui justifie d’ailleurs le délai d’un an prévu au troisième alinéa de cet article.

[111] […] les demandes de transfert de coûts, liées principalement à l’interruption de l’assignation temporaire […] en raison d’une situation étrangère à l’accident du travail, surviennent fréquemment à l’extérieur de cette période d’un an…

La CLP se penche ensuite sur l’interprétation de l’alinéa 1 de l’article 326 LATMP,

[132] […] les demandes de transfert partiel de coûts doivent plutôt être analysées en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la loi afin de déterminer si les prestations ont été ou non imputées en raison de l’accident du travail. Il n’y a pas de délai pour produire une telle demande et l’employeur doit alors démontrer que les prestations qu’il souhaite faire retirer de son dossier financier ne sont pas en lien direct avec l’accident du travail. (Nos gras)

Puisque dans la demande qui lui était soumis ne visait qu’un transfert partiel des coûts, la juge administrative accueille la requête déposée par Supervac 2000, le 25 février 2013.

Cette interprétation a fait école… et a été suivie par plusieurs.

Évidemment, la CSST a porté la décision de la CLP en révision judiciaire devant la Cour supérieure, laquelle l’a rejetée4 puisqu’elle n’a pas été jugée déraisonnable.

Les motifs de la décision de la Cour d’appel5

Le 24 janvier 2018, les juges de la Cour d’appel accueillent l’appel logé par la CSST. Voici leurs précisions concernant les règles d’imputation de l’article 326 de la LATMP.

La loi vise à responsabiliser l’employeur, d’où la règle générale d’imputation. Article 326 (1), LATMP. Les IRR (indemnités de remplacement du revenu) versées au travailleur sont toujours en relation avec une lésion professionnelle. Rien dans cet article de loi ne permet un transfert de coût.

Cependant, il y a deux exceptions pour ne pas pénaliser l’employeur à l’article 326 (2) LATMP. Si le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail est attribuable à un tiers ou a pour effet a pour effet de l’obérer injustement.

[68] La formule selon laquelle la Commission « peut imputer le coût des prestations » à d’autres que l’employeur lui donne certes le pouvoir de transférer la totalité de ce coût mais elle ne lui dénie pas le pouvoir de n’en transférer qu’une partie. Qui peut le plus peut le moins.

L’expression « le coût des prestations » doit être analysée à la lumière de l’esprit et de l’objet de la loi et non à partir du mot à mot.

D’autre part, en ce qui a trait à l’argument fondé sur le délai, la Cour d’appel réitère le danger de s’en tenir à une interprétation « littérale ». Elle ajoute que la CSST a le pouvoir de prolonger le délai si le motif raisonnable est démontré.

[76] Le délai d’un an n’est pas de rigueur [13]6. Il ne court que du jour où le droit à l’exception naît, soit, ici, à compter du congédiement. (Nos gras)

La Cour d’appel a infirmé le jugement de la CLP du 28 octobre 2013 et retourné le dossier au Tribunal administratif du travail (TAT) pour qu’il examine la demande de l’employeur et rende une nouvelle décision sous l’angle du deuxième alinéa de l’article 326, LATMP.

Petit conseil

Si la reprise de l’IRR est due à des circonstances de l’interruption de l’assignation temporaire indépendantes de la lésion et hors de contrôle de l’employeur (et peut-être même de l’employé) et a pour effet de l’obérer injustement, il a le droit de :

  • demander à la CNESST (selon les circonstances) de suspendre les indemnités de remplacement du revenu (IRR);
  • imposer la mesure disciplinaire appropriée (selon les circonstances);
  • s’assurer que cette mesure ne va pas à l’encontre de l’article 32 LATMP;
  • effectuer une demande de transfert partiel des coûts à partir du jour où le droit à l’exception naît. Le délai d’un an à partir de la date de lésion professionnelle n’étant plus de rigueur, selon la Cour d’appel. C’est une bonne décision pour les employeurs!
  • démontrer l’origine de l’injustice;
  • démontrer, par une preuve prépondérante, que la cause de l’interruption de l’assignation temporaire n’est pas reliée à la lésion et que, n’eût été cette situation, l’employé aurait effectué l’assignation temporaire.

Espérons qu’avec ce jugement, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) va lever le moratoire.

 


  1. Supervac 2000, 2013 QCCLP 6341.
  2. Commission de la santé et de la sécurité du travail c. 0969-4654 Québec inc. 2018 QCCA 95 (CanLII), Juges France Thibault, Paul Vézina et Marie St-Pierre, 24 janvier 2018.
  3. Idem à 1.
  4. 2014 QCCS 6379 (CanLII), 16 décembre 2014, juge Suzanne Ouellet.
  5. Idem à 2.
  6. [13] L’article 352 de la LATMP prévoit que « La Commission [CSST et donc le TAT en appel, si besoin est] prolonge un délai que la présente loi accorde pour l’exercice d’un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard ». Ici, l’employeur peut faire valoir un tel motif raisonnable, qui découle d’un congédiement qu’il ne pouvait prévoir.
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