La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) est un régime sans faute. Les droits conférés par la loi le sont sans égard à la responsabilité de quiconque (art. 25). Toutefois, on a prévu une exception dans la loi : la lésion qui survient en raison de la négligence grossière et volontaire du travailleur.
Voyons la position du Tribunal administratif du travail (TAT) concernant une lésion qui survient en raison de la négligence grossière et volontaire du travailleur. Cette exception est prévue à l’article 27 de la LATMP.
Art. 27. Une blessure ou une maladie qui survient uniquement à cause de la négligence grossière et volontaire du travailleur qui en est victime n’est pas une lésion professionnelle, à moins qu’elle entraîne le décès du travailleur ou qu’elle lui cause une atteinte permanente grave à son intégrité physique ou psychique.
Selon la jurisprudence, l’article 27 de la loi doit recevoir une interprétation restrictive, puisqu’il s’agit d’une exception1. Pour que cet article puisse s’appliquer, il faut démontrer :
Le courant majoritaire, en matière de jurisprudence, a interprété l’article 27 en disant qu’il faut qu’il y ait eu faute, par action ou omission, laquelle doit revêtir un caractère suffisamment grave et important pour qu’elle ne puisse être qualifiée de simple. Elle doit aussi résulter d’un acte volontaire et non d’un simple réflexe. Cette notion implique un élément de témérité ou d’insouciance déréglée du travailleur eu égard à sa propre sécurité, et non pas seulement un comportement imprudent ou une erreur de jugement. Afin de qualifier la négligence, la prévisibilité des conséquences du geste doit être appréciée. S’il est manifeste que le geste risque en lui-même d’entraîner des conséquences fâcheuses graves, cela constitue de la négligence grossière2.
De plus, comme l’article 27 le mentionne, il ne faut pas que la blessure ou la maladie entraîne le décès du travailleur ou ne lui cause une atteinte permanente grave.
Dans ce dernier cas, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) ne devrait pas imputer à l’employeur les coûts de cette réclamation.
Les employeurs ont avantage à comprendre les nuances que nous apportent les tribunaux relativement aux conditions d’application de l’article 27. C’est pourquoi nous vous proposons d’analyser ensemble un jugement dans lequel cet article a été plaidé par un employeur.
Dans l’affaire Les Excavations DDC et Jacques Lapointe3, le travailleur âgé de 74 ans allègue avoir subi un accident de travail alors qu’il perd le contrôle de son camion et finit sa course contre un muret de ciment.
Il sera évalué par un membre du Bureau d’évaluation médicale (BEM), le 12 novembre 2014. Ce dernier lui accordera une atteinte permanente de 2 % et des limitations fonctionnelles au niveau du cou, faisant en sorte qu’il ne pourra plus reprendre son emploi de camionneur.
Le travailleur avait déjà eu un accident du travail en 1990, le blessant au cou. Il avait obtenu une atteinte permanente de 2 % et des limitations fonctionnelles ne lui permettant plus de refaire son emploi de chauffeur de pelle. Un emploi convenable de promoteur d’énergie nouvelle avait alors été déterminé.
Ces limitations fonctionnelles antérieures ont été mises en preuve lors de l’audience et l’employeur a témoigné dans le sens qu’il n’aurait jamais embauché le travailleur s’il avait connu ces limitations.
De plus, dans son témoignage, le travailleur a dit qu’il ne portait jamais sa ceinture de sécurité, mais qu’il savait qu’il devait la porter. Il a aussi affirmé qu’il devait rouler à une vitesse oscillant en 70 et 90 km/h, alors qu’il s’apprêtait à prendre une courbe où la circulation était dense, dans une zone où la limite permise est de 70 km/h.
Le rapport de police déposé en audience, rédigé à la suite de l’accident, faisait état d’une conduite imprudente de la part du travailleur.
Aussi, le travailleur n’a pas respecté les directives de l’employeur quant au chemin à emprunter pour le retour après la journée de travail.
Il a également été déposé en preuve un document signé du travailleur à l’effet qu’il s’engageait à respecter les règles en matière de sécurité chez l’employeur.
Enfin, l’employeur a obtenu la confirmation de la SAAQ que le travailleur n’avait jamais déclaré ses limitations fonctionnelles antérieures, alors qu’il avait l’obligation de le faire.
La juge administrative, dans son jugement, reprend tous ces arguments aux paragraphes 44 à 54 et détermine que le travailleur a volontairement enfreint non seulement les directives de l’employeur, l’engagement qu’il avait signé de les respecter, mais aussi le Code de la sécurité routière. Il a de plus sciemment omis de déclarer ses limitations fonctionnelles à la SAAQ, ainsi qu’à son employeur.
C’est de façon délibérée qu’il a fait fi de toutes les consignes de sécurité les plus élémentaires en circulant au-delà de la vitesse permise et en négligeant de porter la ceinture de sécurité.
En agissant ainsi, il a démontré une négligence grossière, car il ne pouvait ignorer qu’il était dangereux de rouler à cette vitesse, sans ceinture de sécurité, à cette heure de la journée.
En conclusion, la juge a déclaré que le travailleur n’avait pas subi de lésion professionnelle le 5 juillet 2013! Retenez qu’en cette matière, chaque cas est un cas d’espèce. La CNESST et le TAT analyseront les faits de la cause, afin de déterminer si le travailleur a bel et bien fait preuve de négligence grossière et volontaire. Pour en connaître davantage sur ces notions, nous vous invitons à suivre les cours Procédures de réclamations et Suivi des cas de lésions professionnelles.