Mis à jour le 28 novembre 2024
Synonyme de réjouissances pour la plupart d’entre nous, le temps des Fêtes n’est cependant pas une sinécure pour les employés qui, souvent à titre occasionnel, doivent composer avec une clientèle plus âpre en cette période de l’année.
Il s’agit d’hommes, et encore plus souvent de femmes, principalement des secteurs du commerce de détail, de la restauration, de l’hôtellerie et des loisirs, fréquemment appelés en renfort pour répondre à une demande ponctuelle plus soutenue.
Dans la peau d’un travailleur saisonnier
Les Fêtes peuvent en effet être particulièrement difficiles pour les employés devant assurer un service à la clientèle en contexte d’affluence exceptionnelle. La SAQ, par exemple, réalise environ 25 % de son chiffre d’affaires annuel à ce moment. Et pour les travailleurs saisonniers, des défis supplémentaires sont présents :
- Plusieurs jours consécutifs sans repos
- Cumul de plusieurs emplois
- Inexpérience en service à la clientèle
- Méconnaissance des produits et services
- Formation abrégée ou inexistante
Qui plus est, le personnel saisonnier peut venir en aide à un groupe travaillant déjà en sous-effectif, et dont les membres doivent conséquemment assumer individuellement une plus grande charge de travail qu’à l’ordinaire.
Une ambiance (pas toujours) festive
Dès le mois de décembre, des foules composées de gens stressés se pressent dans les magasins afin de récupérer cadeaux, victuailles et habits pour les célébrations de fin d’année. Suivent les soldes d’après Noël, qui s’accompagnent de scènes parfois chaotiques, que devront gérer les employés des petites et grandes surfaces.
Déjà, en temps normal, selon des chercheurs de HEC Montréal, 50 % des employés subissent des incivilités de la part de clients au moins une fois par semaine.
D’ailleurs, au lendemain de la parution originale de cet article, en décembre 2023, Détail Québec lançait une campagne de sensibilisation en réponse à une « crise de la courtoisie ». Bien entendu, ce phénomène ne se limite pas qu’au Québec. En Australie et au Royaume-Uni, par exemple, plus de 85 % des salariés du commerce de détail déclarent avoir déjà été victimes de comportements abusifs de clients.
Ainsi, certains consommateurs n’hésitent pas à faire subir aux travailleurs et travailleuses différents types d’incivilités, d’intensités variables : insultes, obscénités, menaces, violences physiques, etc. Tout aussi blessantes, d’autres incivilités sont plus subtiles : regards condescendants, interruptions fréquentes, etc.
Sans doute connaissez-vous l’adage « le client est roi », qui établit déjà une relation asymétrique, donnant au consommateur une impression de droit quasi divin. Comment alors rétablir un équilibre et calmer le jeu?
Incivilités : comprendre, gérer et (inter)agir
D’abord, il importe de mesurer les conséquences des comportements agressifs sur le personnel. Selon les études, elles sont multiples : problèmes gastriques, perturbation du sommeil, augmentation de la pression sanguine, absentéisme, etc. Aussi, après avoir subi les foudres des clients, le travailleur lui-même peut être amené, en réponse à cette maltraitance, à agir de manière brusque ou agressive avec un tiers (un collègue ou un fournisseur, par exemple), lui-même aucunement concerné par l’incident initial. Naturellement, la foudre cherche un paratonnerre.
Ensuite, comprendre ce qui sous-tend les incivilités permet de gagner en perspective et aide à mieux s’en détacher. À ne pas « le prendre personnel », comme on dit souvent. Oui, il y a parmi les clients des individus qui affichent un sentiment de supériorité, qui s’attendent naturellement à ce que tous leurs besoins soient comblés et qui sont plus enclins à interagir de manière agressive avec autrui. Mais il y a aussi plusieurs individus aux prises avec des problèmes (petits ou grands) de santé mentale, qui vivent des situations difficiles, qui sont hyperstressés ou surmenés. Mais attention. Ici, comprendre ne veut pas dire pour autant excuser.
Faire toute une scène
Si comme moi vous avez déjà œuvré en première ligne, vous savez que l’une des principales difficultés des interactions avec les clients est la conciliation des émotions ressenties lors des échanges et le maintien d’une attitude professionnelle. Faire fi de l’irrespect et garder son sang-froid n’est pas une tâche aisée. En fait, un sondage récent réalisé aux États-Unis révèle qu’une part importante des employés du commerce de détail affirme manquer de confiance dans leur capacité à gérer des situations violentes.
Les chercheurs du domaine de la vente utilisent le terme travail émotionnel (emotional labour) pour définir les efforts que les travailleurs doivent déployer afin de garder la tête froide, du moins en façade. Une revue de la littérature sur cet aspect précis fait ressortir deux stratégies prégnantes pour arriver à cette fin : soit l’interprétation de surface (surface acting) et l’interprétation authentique (deep acting).
L’interprétation de surface consiste, dans ses interactions avec les clients difficiles, à simplement camoufler ses émotions, de manière plus ou moins superficielle. Toutefois, un trop grand recours à ce type d’interprétation entraînerait pour le travailleur une plus grande fatigue émotionnelle et serait nuisible à la santé mentale.
L’interprétation authentique, en revanche, vise à faire abstraction des incivilités en se plongeant complètement dans son rôle professionnel. Il faut, pour y arriver, mettre une grande distance entre soi et la situation vécue. Créer une sorte d’alter ego professionnel, en quelque sorte. Pour des spécialistes du service à la clientèle, en plus d’être perçue plus favorablement par le client – qui sera aussi potentiellement mieux servi –, cette dernière stratégie engendrerait, pour les travailleurs, des conséquences psychologiques moins néfastes que la précédente.
Sans trop de surprise, d’autres chercheurs font aussi savoir qu’adopter une attitude similaire à un client agressif risque d’entraîner une « spirale de l’incivilité » et d’envenimer la situation.
Mais nous ne sommes pas tous des acteurs de renom. Est-il vraiment possible de prendre le recul nécessaire et de jouer le jeu avec authenticité? Selon les mêmes chercheurs, nous en serions tous capables, car des études prouvent que les individus sont généralement aptes à ne pas laisser transparaître leurs émotions. D’ailleurs, il n’y a pas que les employés en contact avec des clients y qui arrivent.
Préparer l’entrée et la sortie de scène
Bien que les employeurs aient l’obligation de protéger la santé physique et psychique des salariés, nul ne peut pleinement prévenir l’apparition de clients difficiles. Cependant, certaines actions peuvent contribuer à en limiter les effets :
- Aménager les horaires de sorte que les mêmes employés ne soient systématiquement présents lors des périodes difficiles.
- Prévoir la présence d’employés plus expérimentés avec les travailleurs saisonniers.
- Afficher les politiques de l’entreprise quant au respect des employés.
La formation, qu’elle soit formelle ou informelle, compte également pour beaucoup. Elle peut donner l’occasion aux gestionnaires et chefs d’équipe de :
- Répéter les formules clés à utiliser lors d’interactions avec des clients agressifs.
- Souligner les éléments d’une interprétation authentique (empathie et distance émotionnelle).
- Partager des expériences et des cas vécus.
- Organiser des exercices et des jeux de rôles.
Le gestionnaire doit également rappeler aux employés de ne pas hésiter, si la situation prend des proportions, à recourir à son aide ou à prendre une pause pour retrouver son calme. Après une situation tendue, l’employeur doit être à l’écoute et reconnaissant du travail effectué dans des circonstances adverses. Cela permet entre autres d’évacuer une bonne partie du stress vécu.
Ainsi, des Luc Picard et des Karine Vanasse sommeilleraient en chacun des professionnels du service à la clientèle, qu’ils en soient à leurs premières armes ou qu’ils soient expérimentés. Cela est particulièrement rassurant en cette période des Fêtes, qui voit davantage de consommateurs désagréables faire leur cinéma.
Références
Les guides synthétiques Composer avec un client en colère et Prévenir les risques de violence dans les commerces et les services, produits respectivement par le Conseil canadien du commerce de détail et l’Institut national de recherche et de sécurité (France), constituent des aide-mémoire pratiques pour tous les professionnels de la vente ayant à interagir avec une clientèle difficile.