L’approche par multiétablissements au service du comité de SST

Par Alain Tremblay, CRHA, RCC

Automne 2023 (vol. 39, no 2)

Dans une culture organisationnelle souhaitant optimiser l’efficacité des interventions de santé-sécurité, le recours au regroupement en multiétablissements paraît invitant. Toutefois, ses avantages peuvent se heurter à certaines limites et rapidement se transformer en contraintes. Bien que théoriquement accessible à toute organisation possédant plus d’un établissement, le concept ne convient pas pour autant à tous.


Voyons dans quelle mesure et dans quels contextes opérationnels vous pourriez en bénéficier, selon les paramètres prévus par la Loi.



Les enjeux de la LMRSST et le régime intérimaire


D’abord, allons-y avec un petit rappel. Depuis l’entrée en vigueur de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (LMRSST) le 6 octobre 2021, le régime intérimaire qui l’accompagne prévoit de multiples changements prenant effet graduellement. Ainsi, à la fin du parcours d’intégration du régime intérimaire, se terminant au plus tard le 6 octobre 2025, la LMRSST deviendra applicable dans son entièreté.


À titre d’exemple, depuis le 6 avril 2022, la tenue d’un comité de santé et de sécurité (CSS) et la nomination d’un représentant en santé et en sécurité (RSS) est obligatoire pour les établissements comptant 20 travailleurs-travailleuses et plus. Pour ceux qui comptent 19 salariés et moins, seule la nomination d’un agent de liaison devient nécessaire.


Plus précisément, depuis le 1er janvier 2023, certaines dispositions concernant le CSS, le RSS, le coordonnateur en santé et en sécurité (CoSS) ainsi que le programme de prévention sur un chantier de construction seulement se sont greffées aux obligations des employeurs concernés. Notons qu’à ce chapitre certaines distinctions s’appliquent selon l’ampleur du chantier (nombre de travailleurs et valeur monétaire des travaux).


Toujours dans le secteur de la construction, d’autres obligations s’ajouteront dès le 1er janvier 2024. Elles préciseront principalement le contenu des formations destinées à certains intervenants, soit les membres du CSS, le RSS et le CoSS.


Finalement, l’implantation d’un programme de prévention pour les établissements de 20 travailleurs et plus, ou d’un plan d’action pour ceux de 19 travailleurs et moins, s’appliquera dès la fin du régime intérimaire, soit au plus tard le 6 octobre 2025. Notez cependant que ce régime pourrait également prendre fin dès le 6 octobre 2024. Nous vous suggérons donc fortement de vous préparer en conséquence!



À qui convient l’approche par multiétablissements?


Évidemment, l’approche par multiétablissements s’adresse aux organisations possédant plus d’un établissement comptant 20 travailleurs et plus. Il en est ainsi car, comme nous l’avons précisé, l’employeur de ces établissements doit mettre en place un CSS en prévoyant la nomination d’un RSS, tout en élaborant éventuellement son programme de prévention.


Mis à part l’élaboration du programme de prévention, concentrons-nous ici seulement sur les conséquences de la formule par multiétablissements sur le comité de SST. Rappelons cependant que le programme de prévention est déjà applicable depuis plusieurs années dans les établissements appartenant aux secteurs prioritaires 1, 2 et 3.


Qu’est-ce qu’un établissement?

Avant même la venue de la LMRSST, la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) définissait un établissement comme « l’ensemble des installations et de l’équipement groupés sur un même site et organisés sous l’autorité d’une même personne ou de personnes liées, en vue de la production ou de la distribution de biens ou de services, à l’exception d’un chantier de construction ».


Il peut s’agir, par exemple, d’un établissement scolaire (une école), d’un centre hospitalier, d’un commerce, d’une usine, d’une entreprise de construction (l’établissement, et non le chantier), de locaux mis par l’employeur à la disposition du personnel à des fins d’hébergement, d’alimentation ou de loisirs (à l’exception des locaux privés pour habitation), etc.


Les principaux avantages du regroupement par multiétablissements

Cette formule permet, notamment :

  • D’uniformiser et d’harmoniser les mécanismes de prévention ainsi que les pratiques générales en santé-sécurité. On peut penser aux inspections, aux analyses de risques, aux enquêtes et analyses d’accident, à l’adaptation aux normes et aux politiques et procédures internes, à l’entretien préventif et à la surveillance de la qualité du milieu de travail, sans oublier le volet formation et les équipements de protection individuels, etc.
  • D’atteindre un objectif de cohésion en rehaussant l’efficacité et l’efficience des diverses interventions en SST.
  • D’améliorer la prise en charge par la responsabilisation partagée des divers intervenants impliqués dans la gestion de la prévention. Ceci favorisera une meilleure communication et une collaboration plus étroite entre l’employeur et l’ensemble du personnel, que l’on soit en milieu syndiqué ou non.
  • De compter sur un plus grand nombre de travailleurs et de gestionnaires expérimentés pouvant contribuer à l’application des divers mécanismes de prévention.
  • D’optimiser le temps et les ressources à disposition dans l’exercice des fonctions du CSS et du RSS prévues par la Loi.
  • De profiter des services d’un RSS qui développera ses compétences plus rapidement grâce au temps octroyé à l’exercice de ses fonctions.
  • De donner accès aux établissements de moins de 19 travailleurs aux avantages cités précédemment.


Les principaux critères du regroupement par multiétablissements

L’approche par multiétablissements consiste à permettre le regroupement des établissements dont les activités sont évidemment de même nature. Cela doit cependant respecter certains critères favorisant l’application des mécanismes de prévention et de participation prévus par la Loi, dont les fonctions du comité de SST et du RSS.


Cette approche permettra à un employeur de jumeler plusieurs établissements de manière à optimiser la prise en charge de la santé-sécurité. Ainsi, les fonctions du CSS et de son RSS seront exercées en considérant la similitude de l’ensemble des risques identifiés dans chacun des établissements regroupés.


Mais avant de conclure que cela pourrait vous être favorable, voyons si vous répondez aux principaux critères.


Pour déterminer votre admissibilité, il ne s’agit pas de respecter l’un des quatre critères suivants, mais l’ensemble. Le cas échéant, vous pourrez évaluer sa pertinence.


  1. La similarité des risques retrouvés dans l’ensemble des établissements regroupés doit être de même nature.
  2. Les fonctions du CSS prévues par la Loi doivent être exercées de façon efficace dans chacun des établissements regroupés.
  3. Les fonctions du RSS précisées par la Loi doivent également être exercées de façon efficace et sans restriction dans chacun des établissements regroupés.
  4. Un même employeur doit dénombrer plus d’un établissement comptant 20 travailleurs et plus.


Bien que les quatre critères constituent des impératifs, la notion d’activités de même nature demeure l’élément principal à évaluer. Cette condition permettra de conclure que les risques auxquels sont exposés les employés sont comparables au sein de l’ensemble des établissements regroupés. Ainsi, les risques identifiés seront pris en charge uniformément et plus efficacement.


Si un employeur choisit de recourir à l’approche par multiétablissements, et s’il gère simultanément des établissements de 19 travailleurs et moins exerçant des activités de même nature, il devra les inclure dans le regroupement. Éventuellement, il aura également à ajouter ces établissements dans le regroupement au moment de mettre en application son programme de prévention propre à un établissement.


Mais l’employeur ne doit pas opter pour cette formule dans le seul but de minimiser les interventions. Au contraire, l’objectif est plutôt d’optimiser l’intégration des pratiques en SST pour favoriser une prise en charge responsable. Il est à noter que, selon la variation des différentes natures de risque, un même employeur pourrait recourir à plus d’un regroupement. En pareil cas, si un employeur devait créer plus d’un regroupement en multiétablissements, il devrait prévoir un CSS central par regroupement et procéder à la nomination d’un RSS selon les règles de l’art. Cependant, il peut y avoir entente entre les parties pour que plus d’un RSS soit choisi par les employés, ou le(s) syndicat(s) les représentant.


Petit détail : un regroupement en multiétablissements ne doit pas être confondu avec une mutuelle de prévention. Ainsi, des établissements sous la gouverne de différents employeurs ne sont pas admissibles à l’approche par multiétablissements.


Par exemple, si plusieurs employeurs partagent un même bâtiment en location, même si la nature respective des risques est similaire, ceux-ci ne pourraient tout de même pas bénéficier d’un regroupement commun en multiétablissements.


Les conditions d’exercice efficaces

Aussi avantageux que cela puisse paraître, un regroupement par multiétablissements n’est pas pour autant un laissez-passer vers la facilité. Au-delà de l’évaluation primordiale de la nature des risques, comme mentionné précédemment, faut-il encore que le comité de SST et son RSS puissent exercer leurs fonctions respectives efficacement. En vertu de la LMRSST, la fonction primaire du CSS consiste à identifier et à analyser les risques afin de formuler des recommandations justifiées à l’employeur. Pour ce qui est du RSS, celui-ci doit pouvoir physiquement se déplacer dans l’ensemble des établissements pour inspecter les lieux de travail. De la sorte, il jouera un rôle clé dans l’identification des risques.

C’est ici que certaines contraintes doivent être considérées afin de faciliter l’atteinte des enjeux relatifs aux responsabilités des divers intervenants en SST.


Les conditions générales de réalisation

Voici donc certaines conditions gagnantes favorisant l’efficience et l’efficacité d’un CSS et de son RSS.


Il importe de déterminer si les réunions du CSS seront de type présentiel, virtuel ou hybride. Selon la formule retenue, il faudra considérer le temps de déplacement pour l’ensemble des membres du CSS et le RSS. Si, pour vous faciliter la tâche, vous optez pour une formule entièrement virtuelle, sera-t-elle vraiment efficace lorsque viendra le temps de procéder à l’analyse d’une situation à risque particulièrement complexe?


Les conditions spécifiques pouvant justifier la pertinence d’un regroupement

Vous trouverez ci-après des éléments à examiner minutieusement avant de considérer une approche par multiétablissements.


  • Le temps de libération réel du RSS, en tenant compte de ses déplacements ainsi que du temps d’intervention requis par établissement, selon la nature du risque et le nombre d’employés.
  • Le nombre d’établissements au sein du regroupement et la distance entre eux.
  • La facilité des déplacements requis selon les saisons et les autres contraintes géographiques et météorologiques.
  • Le temps nécessaire pour l’identification et l’analyse des risques, incluant le travail sur la route ainsi que le télétravail.
  • La qualité de prise en charge des mécanismes de prévention dans chacun des établissements.
  • La possibilité d’offrir une couverture pour l’ensemble des quarts de travail.


… Et tout autre critère propre à votre réalité organisationnelle.



Conclusion et recommandation!


L’élément central d’un regroupement par multiétablissements demeure l’évaluation de la nature des risques identifiés dans chacun des établissements concernés. Ceux-ci n’ont pas besoin d’être parfaitement identiques, mais doivent demeurer de même nature (risques découlant du travail en hauteur, de la présence d’équipements industriels, de l’usage de produits chimiques de même catégorie, de contraintes ergonomiques similaires, de circulation de véhicules, du contact avec la clientèle, etc.).


L’exercice d’une tâche ou d’une opération analogue peut être un indice de la présence d’un risque de même nature. Il est ainsi recommandé de tracer le portrait le plus précis possible de chacun de vos établissements afin d’évaluer les similitudes. Cependant, les opérations peuvent être complémentaires sans toutefois présenter un risque de même nature. Seule une bonne analyse des champs d’activités vous permettra de mettre en place une stratégie d’intervention et de prise en charge optimale.


Pour pousser un peu plus loin votre réflexion, je vous invite à consulter le Guide sur l’approche par multiétablissements de la CNESST.


Bonne chance!

Alain Tremblay, CRHA, RCCConseiller et formateur en SST

Alain Tremblay est titulaire d’un baccalauréat multidisciplinaire (relations industrielles et SST), d’une maîtrise en gestion et développement des organisations, et d’une certification en coaching professionnel (RCC). Reconnu pour son authenticité, son sens de la communication et de l’écoute, il possède une riche expérience professionnelle, ayant déjà agi à titre d’enquêteur, d’inspecteur, de gestionnaire, de formateur en entreprise et de chargé de cours au collégial, en plus d’être intervenu dans le secteur industriel et le milieu municipal.