Anecdotes, réflexions et pistes de solution pour des formations inclusives

Par Lorena Fernández

Hiver 2023-2024 (vol. 39, no 3)

Avant de rédiger cet article, j’ai longuement songé à mon arrivée au Québec. À cette époque, en 2010, je me trouvais ici, en quelque sorte, en position de novice vis-à-vis le travail, et ce, même si je possédais une expérience préalable acquise à l’étranger. 


Dans mes premières expériences de travail et lors des séances de formation, même si je maîtrisais déjà la langue, mon oreille avait du mal à s’habituer à la phonétique du français québécois et à décoder certains mots et expressions. Quand la situation s’y prêtait, je posais des questions pour tenter de comprendre le sens de certaines phrases, car souvent mon imagination m’éloignait de la vraie signification. Mais, à vrai dire, sans explication préalable, je pouvais plus difficilement m’assurer que « mes bottines suivent mes babines », que j’arrive à « catcher la patente », et que je cesse de « capoter » pour rien. 


Je partage avec vous ces souvenirs, car je souhaite ouvrir la porte à une réflexion sur les pratiques de formation en milieu de travail dans le contexte actuel de dépendance aux technologies et de forte diversité.


Lorsqu’il est question de formation en entreprise, on vise généralement à développer et/ou à renforcer les compétences et les capacités du personnel afin qu’il puisse améliorer ses performances et atteindre les objectifs organisationnels. En matière de santé et de sécurité du travail, l’employeur a l’obligation d’informer tous les salariés quant aux risques liés au travail et d’assurer la formation et l’entraînement permettant d’effectuer en toute sécurité les tâches confiées (LSST, art. 51, par. 9).


Mais quelle que soit la raison de la formation, qu’il s’agisse de la prévention de lésions professionnelles, qu’elle fasse partie d’un programme d’entraînement à la tâche, ou de promouvoir le bien-être du personnel et la fidélisation de celui-ci, par exemple, les attentes de réussite sont souvent fort élevées et les objectifs ne sont pas toujours atteints.


Comment alors garantir que toutes les personnes reçoivent et interprètent correctement l’information dans le processus de communication et d’apprentissage, et que les notions soient appliquées de manière opportune et appropriée? Comment faire en sorte que le message exprimé par l’émetteur (le formateur) conserve sa forme originale à l’arrivée, au destinataire (apprenant), et qu’il ne soit pas modifié en cours de route?


À cet égard, lors de la conception des programmes de formation, il est primordial de penser aux participants qui vivent des difficultés d’apprentissage, qu’ils soient illettrés ou peu alphabétisés, et qui peut-être présentent un déficit de compétences numériques, qui sont récemment arrivés au Québec, issus des communautés autochtones, allophones, ou encore qui possèdent des croyances différentes ou des styles d’apprentissage distincts, par exemple.  


Une formation qui ne parvient pas à transmettre aux apprenants les informations justes pour leur permettre d’acquérir de nouvelles connaissances et ainsi développer les compétences et les aptitudes nécessaires peut engendrer de nombreux problèmes, dont un sentiment d’insécurité, alimentant le stress, l’anxiété, la détresse, ou favorisant de mauvaises performances (facteurs à l’origine des risques psychosociaux) et les accidents du travail. Cela peut aussi provoquer d’autres situations fâcheuses, tel le gaspillage de produits ou de matières premières, ou causer des dommages environnementaux.


Je me souviens d’avoir travaillé quelques jours dans une pizzeria peu de temps après mon arrivée au Québec. J’avais reçu une formation informelle et générale d’une journée. Entre autres tâches, je devais prendre les commandes téléphoniques. À un moment, mon oreille étrangère et latine ne m’a permis de comprendre l’accent d’un client issu de la diversité, et j’ai noté de manière incorrecte les chiffres de l’adresse. En conséquence, le livreur a dû tourner en rond longtemps pour livrer la commande, qui a finalement été annulée.  


Dans ce cas précis, la journée de formation ne s’est pas avérée suffisante. J’aurais eu besoin d’un temps d’entraînement à la tâche avec le soutien d’un mentor ou d’un collègue compétent pour connaître et m’habituer aux tâches, et éviter les erreurs. Malheureusement, la formation reçue a été inefficace et mésadaptée. En fin de compte, du temps et de l’argent ont été perdus, des clients ont été insatisfaits, des collègues se sont mis en colère, de la nourriture a été gaspillée et j’ai été déçue de moi-même, n’ayant pas été à la hauteur.


Pour améliorer l’efficacité des formations, les organisations doivent faire preuve d’une volonté sincère dans l’adoption de nouvelles approches et l’exploration de nouveaux concepts et contextes d’apprentissage, et ce, afin que toutes et tous se sentent inclus, respectés, utiles, productifs et appréciés, et puissent développer et enrichir leurs compétences personnelles et professionnelles. Voici, à cette fin, quelques pistes à considérer :


  • Conscientiser les gestionnaires et les représentants de l’employeur quant à la diversité des compétences et des niveaux de scolarisation. Les réalités, défis et besoins particuliers du personnel doivent être pris en considération. 

  • Sensibiliser l’ensemble du personnel dans le but de promouvoir la compréhension, l’empathie et l’acceptation de la différence. 

  • Intégrer la francisation dans les programmes de formation. 

  • Tenir compte du contexte multiculturel au travail, qui renferme une panoplie de langues, chacune possédant des différences lexicales et phonétiques. Et puis, même si l’on parle une même langue, les particularités propres à un pays ou à une région d’origine sont parfois si marquées que l’on pourrait presque dire qu’il s’agit en soi de langues différentes.

  • Fournir des contenus, des ressources, des technologies et des outils adaptés aux besoins particuliers du personnel.

  • Élaborer des programmes de mentorat ou de parrainage afin d’offrir un soutien supplémentaire à ceux et celles qui en ont besoin.

  • Mettre en place des mécanismes pour suivre l’efficacité de la formation et cerner les points à améliorer, à travers une collecte des données, par exemple, permettant de connaître la satisfaction des employés, de colliger les commentaires et les suggestions, de mesurer les connaissances acquises, d’évaluer l’atteinte des objectifs, etc. 


Conclusion


Lors de la conception de programmes de formation et d’apprentissage, face à la gamme étendue de profils humains et professionnels actifs sur le marché du travail, il est impératif d’adapter les outils, les ressources, les méthodes, le temps imparti, etc. Le personnel sera plus productif et engagé, et pleinement conscient des risques professionnels. Ces acquis contribueront durablement au succès de l’entreprise et favoriseront le développement d’une culture de prévention et d’inclusion.


Quant à moi, aujourd’hui, mon oreille latine aime et comprend l’accent et le lexique québécois; « je suis aux petits oiseaux ». Et je continue à découvrir des expressions tout aussi énigmatiques et intéressantes. Je considère d’ailleurs qu’elles font partie intégrante du charme de la culture québécoise.

Lorena FernándezConseillère et formatrice en SST

Lorena Fernández étudie particulièrement la question de l'équité, de la diversité et de l'inclusion (EDI) dans les organisations, notamment en ce qui a trait au personnel issu de l'immigration. Elle est notamment titulaire d’un diplôme de deuxième cycle en gestion globale de la SST (Université de Sherbrooke), en plus d’avoir précédemment obtenu un DESS en psychologie industrielle (Pontificia Universidad Catolica del Ecuador).