La formation, un coup d’épée dans l’eau?

Par Alain Tremblay, CRHA, RCC

Hiver 2023-2024 (vol. 39, no 3)

L’acquisition de connaissances a toujours été le meilleur antidote contre l’ignorance. Or, le savoir recherché fait bien souvent ombrage à son prolongement naturel : le savoir-faire et le savoir-être. À travers notre quête de savoir se cachent ainsi plusieurs dimensions toutes aussi insoupçonnées que réelles. 


De la sorte, il y a les choses que :


  • Je sais que je sais.
  • Je sais que je ne sais pas.
  • Je ne sais pas que je sais.


Enfin, il y les choses que je ne sais pas que je ne sais pas… mais que d’autres personnes savent! 


Pour sa part, Socrate disait : la seule chose que je sais, est que je ne sais rien! Plus concrètement, la véritable question est de savoir comment apprendre, retenir et intégrer de nouvelles connaissances pour proclamer « je sais ».


Quand une organisation choisit d’investir temps et argent dans un parcours de formations, une question primordiale doit se poser : quel est l’objectif? Autrement dit, pourquoi? Cette question semble simple et évidente. Pourtant, il n’en est rien. Plusieurs motifs peuvent contribuer à esquisser une réponse, et tous ne sont pas nécessairement aussi constructifs les uns que les autres.


Par exemple, le fait-on…


  • Par obligation? Parce qu’une loi, un règlement, une certification ou une norme l’exige.
  • Le fait-on simplement pour répondre, sans conviction, à notre devoir d’investir 1 % de notre masse salariale?
  • Positivement, pour assurer la relève dans un contexte de transfert des compétences?
  • Pour se donner bonne conscience en répondant à l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail? Ou à notre devoir de diligence raisonnable?
  • Par conviction, pour entretenir notre leadership, en considérant la formation comme étant un tremplin incontournable vers le succès collectif? 
  • Pour atteindre à terme un objectif précis avec un résultat escompté, ou pour meubler notre vitrine de formation en guise de distinction?



Et vous, quelles sont vos raisons?


Maintenant que nous avons établi nos motifs, attardons-nous à la manière dont nous allons mettre en place un parcours d’apprentissage qui optimisera le transfert des connaissances. Si nous passons outre cette réflexion, nous risquons de faire de la formation simplement pour la forme! 


En y pensant bien, un plan de formation ressemble beaucoup à un plan de communication. Ainsi, en communication, on commence par s’interroger sur l’objectif visé, c’est à dire, le résultat escompté à court, à moyen et à long terme. Ensuite, on se demande qui sera le meilleur transmetteur du message (une personne en particulier ou un groupe de personnes). Et puis, on précise à qui l’on s’adresse (le destinataire), et de quoi on souhaite parler précisément (sujet et contenu). Après avoir franchi ces étapes, on peut établir la stratégie à adopter (ressources, moyens, durée, où et quand). 


En s’inspirant de cette démarche, on peut transposer les principes au processus de formation, en mettant en évidence la réflexion suivante…


Qui sera la meilleure personne (une formatrice ou un formateur désigné) pour transmettre aux destinataires les connaissances en fonction du sujet traité? Pour compléter le processus, il suffira de retenir la meilleure stratégie de transfert des connaissances, selon les résultats escomptés, idéalement évalués par des critères mesurables.


Malheureusement, c’est souvent en matière de stratégie et de résultats escomptés que le plan de formation est négligé. Nous présumons souvent trop facilement que l’intervention d’un formateur ou d’une formatrice donnera des ailes et permettra de corriger nos lacunes miraculeusement. Et amen!


Sans faire référence à certaines études qui présentent plusieurs nuances, rappelons-nous ici tout simplement que le degré de rétention peut grandement différer selon le mode d’apprentissage. 


Ainsi, nous pouvons apprendre selon :


  • Ce que l’on entend seulement.
  • Ce que l’on entend et ce que l’on lit.
  • Ce que l’on entend, ce que l’on lit et ce que l’on écrit.
  • Ce que l’on peut mettre en pratique ou constater par soi-même.


Selon les dimensions explorées, la rétention peut varier énormément. Voilà pourquoi l’environnement et la stratégie d’apprentissage retenus comptent pour beaucoup; ils permettent de minimiser la distorsion et les mauvaises perceptions.


On peut ainsi se demander s’il est préférable d’opter pour une formation magistrale et purement théorique, ou pour une formation rehaussée d’ateliers ou de mises en situation. Serait-il encore plus judicieux d’opter pour une formation comprenant la visite de certains lieux avec prise de notes? Des discussions et échanges de groupe sont-ils prévus? Prévoyons-nous une évaluation et, si oui, quels seront les seuils de réussite?


Afin d’orienter nos décisions, on peut s’inspirer des résultats de trois sondages distincts sur le transfert des connaissances. Ainsi, 46 à 53 % des participants à une formation croient pouvoir transférer les connaissances acquises au lendemain de celle-ci, contre 12 % à 25 % après 6 mois et 9 % à 25 % après 1 an. 


Les avantages de la formation semblent donc s’atténuer à long terme. Et il est décevant de réaliser qu’à peine 9 % à 25 % des connaissances acquises demeurent encore utilisables après une année. Des formations de rappel seraient-elles alors de mise afin de prolonger la période de rétention?



L’acquisition collective des savoirs et la rétention


Dans un contexte de formation, nous considérons le transfert des apprentissages comme étant l’intégration qu’une personne fait des connaissances apprises. Le degré de compréhension, rehaussé de l’habileté avec laquelle elle transforme la théorie en pratique, n’est que le premier pas à franchir. Pour que le résultat ou le comportement désiré atteigne le niveau souhaité, il faut également compter sur la répétition et l’encadrement. 


Les organisations, soit les gestionnaires ou même les membres de la direction, qui vivent les formations avec les apprenants profitent grandement de l’encadrement du transfert des connaissances. 

Par exemple, dans une formation sur l’enquête et l’analyse d’accident, le personnel dirigeant du service SST ou RH, ainsi que des supérieurs immédiats, appelés à jouer un rôle clé dans l’enquête et l’analyse, ont avantage à assister à la formation. Cela permet de : 


  • S’approprier les mêmes outils que les superviseurs.
  • Mettre en pratique, avec eux, leur savoir-faire et leur savoir-être dans les exercices.
  • Obtenir des précisions sur l’encadrement du processus d’enquête et d’analyse à l’interne.
  • Répondre aux questions et parler du soutien à offrir (libération de temps, accompagnement en cas de difficultés, etc.).
  • Nourrir le lien de confiance entre la direction et les superviseurs. 
  • Favoriser la cohésion d’équipe tout en rehaussant le sérieux de la démarche.


Il va sans dire qu’avant de proposer une formation, il est primordial de bien définir ses besoins, les effets désirés ainsi que de la stratégie pour optimiser la rétention, l’intégration et la pérennisation des acquis.


C’est à cette étape que nous pourrions laisser une plus grande place au mentorat et au coaching


Comprendre le mentorat…


Définissons et distinguons d’abord ces deux notions. De prime abord, on peut avoir tendance à les mélanger; elles sont pourtant vraiment distinctes. Mais les deux sont au service d’un meilleur apprentissage. 


Le mentorat est un outil de développement et d’enseignement pratique qui consiste à accompagner une personne en lui servant d’expert, pour offrir les outils nécessaires à son évolution et à son apprentissage. Le mentor se base sur son expertise et sa sagesse pour accompagner le mentoré qui désire apprendre ou évoluer dans le même environnement. Le mentorat est souvent utilisé dans le domaine professionnel par ceux et celles qui cherchent des exemples de personnes à succès, en accueillant leurs conseils pratiques afin de perpétuer l’excellence.


Dans cette perspective, après une formation théorique en santé-sécurité, un mentor pourrait accompagner un individu ou un groupe d’individus afin d’enseigner le volet pratique, selon son expérience et les règles de sécurité applicables.


... et le coaching


Le coaching consiste à accompagner des personnes ou un groupe dans l’identification et la réalisation de leurs objectifs, que cela soit sur le plan personnel ou professionnel. Pour les besoins de la cause, concentrons-nous sur le volet professionnel.


Contrairement au mentorat, le rôle du coach n’est pas de montrer comment faire, mais plutôt d’accompagner les individus et de développer leur potentiel. Celui-ci intervient également à titre de guide, permettant à ceux et celles sous sa gouverne d’évoluer et de prendre conscience de leurs angles morts, de leurs lacunes. Ainsi, l’accompagnement permet de mieux identifier les éléments à améliorer. 


L’avantage du coaching se résume principalement par la personnalisation des techniques d’accompagnement, adaptées aux individus ou au groupe. La démarche peut donc être orientée selon les besoins, en fonction des objectifs ciblés. Ceux-ci peuvent être communs, si l’on s’adresse à un groupe, nuancés ou encore personnalisés, si l’accompagnement est individuel.


Du grain à moudre


Former est aussi inévitable qu’essentiel. Mais former pour optimiser les effets positifs à court, à moyen et à long termes devrait être l’objectif ultime. Soyez donc le plus précis possible dans l’établissement de vos objectifs. L’encadrement, qui suit l’étape de la formation, transformera peut-être une dépense discutable aux effets éphémères en un investissement véritable et rentable. 


Enfin, bien que le coaching et le mentorat aient été mis en avant dans cet article, il faut aussi prendre conscience qu’ils ne sont pas les seuls outils d’amélioration ou d’accompagnement. Nous pourrions en ajouter d’autres, comme le jumelage de ressources entre services ou entreprises, le parrainage ou le tutorat, dans le cadre d’un stage supervisé. 


L’important est de comprendre qu’aujourd’hui, pour connaître du succès, peu importe le secteur d’activité, il faut se démarquer. À ce chapitre, pourquoi ne pas utiliser la formation à titre de levier, en mettant en place un parcours stratégique de formations efficient et efficace. 


Bonne réflexion, et bonne formation!

Alain Tremblay, CRHA, RCCConseiller et formateur en SST

Alain Tremblay est titulaire d’un baccalauréat multidisciplinaire (relations industrielles et SST), d’une maîtrise en gestion et développement des organisations, et d’une certification en coaching professionnel (RCC). Reconnu pour son authenticité, son sens de la communication et de l’écoute, il possède une riche expérience professionnelle, ayant déjà agi à titre d’enquêteur, d’inspecteur, de gestionnaire, de formateur en entreprise et de chargé de cours au collégial, en plus d’être intervenu dans le secteur industriel et le milieu municipal.