Depuis le 1er janvier 2019, toutes les entreprises québécoises de compétence provinciale ont l’obligation de se doter d’une politique interne en matière de prévention du harcèlement psychologique, conformément à l’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail (LNT). Également, les employeurs doivent inclure des dispositions concernant le traitement des plaintes, ainsi qu’un volet sur les inconduites à caractère sexuel.
De plus, l’élaboration d’une telle politique requiert un plan de mise en œuvre afin de fournir aux employés un recours concret et un canal formel pour signaler une situation de harcèlement psychologique. L’inclusion de cette obligation dans la législation québécoise témoigne de la volonté de lutter activement contre le harcèlement psychologique au sein des milieux professionnels.
D’un point de vue pratique, cela ne s’arrête pas là. Pour satisfaire à ces obligations qui vous incombent et ainsi offrir aux employés un milieu de travail exempt de harcèlement, vous devriez aussi investir dans la formation de vos gestionnaires.
Mettre en œuvre une politique
L’établissement d’une politique contre le harcèlement psychologique au travail constitue un premier pas essentiel vers la prévention. Cependant, posséder une politique n’est pas suffisant en soi. Le maillon critique dans une démarche de prévention réside dans la manière de la mettre en œuvre au quotidien.
C’est là qu’intervient la formation et la sensibilisation de vos gestionnaires. Ce sont les gardiens de la culture de votre entreprise et les premiers intervenants face à d’éventuelles manifestations de harcèlement. Ainsi, pour véritablement ancrer la prévention dans les valeurs de votre organisation, il est essentiel que vos représentants acquièrent les outils adaptés et développent les compétences nécessaires à une application efficace et équitable de votre politique interne.
Illustration : l’affaire Barry c. Hydro-Québec
L’affaire récente Barry c. Hydro-Québec est un exemple marquant qui illustre l’importance de mettre en œuvre une politique telle. Au moment des faits, en 2017, le plaignant est chef en gestion et qualité de l’information (GQI) depuis quelque mois. En novembre de la même année, il fait l’objet d’un plan d’accompagnement en raison de préoccupations soulevées par son équipe. En mai 2018, il quitte son poste pour un congé de maladie et dépose une plainte pour harcèlement psychologique, conformément à la politique interne en vigueur.
À son retour, en septembre 2018, son employeur l’interroge sur des manquements présumés pendant la période d’arrêt maladie. Plus tard, on lui demande de détailler sa plainte en harcèlement psychologique à partir de son domicile, tout en lui interdisant de communiquer avec son équipe. Face à cette situation, il dépose un recours pour pratique interdite (art. 122, LNT). Le 5 novembre 2018, son employeur finit par le congédier. Plus tard, on confirmera le rejet de la plainte en harcèlement psychologique à l’interne. M. Barry se tourne donc vers la CNESST et dépose une plainte officielle (art. 123.6, LNT).
Le Tribunal administratif du travail accueille la plainte et réitère la portée des obligations de l’employeur en matière de harcèlement psychologique. Le juge administratif précise qu’« avoir une politique ne suffit pas » (par. 377), et qu’« il faut agir de façon proactive afin non seulement de prévenir le harcèlement, mais aussi de le faire cesser, dès qu’une conduite est portée à la connaissance de l’employeur » (par. 378).
Cette cause souligne la nécessité pour les entreprises d’implanter des politiques vis-à-vis le harcèlement psychologique et, surtout, de les appliquer activement. Pour ce faire, les employeurs doivent former adéquatement les gestionnaires à être proactifs dans la gestion des incidents signalés et fournir une réponse appropriée.
Les principaux avantages de la formation des gestionnaires
La formation des gestionnaires constitue un pilier fondamental pour créer un environnement de travail respectueux et exempt de harcèlement. Plus concrètement, cela permet, notamment :
- De sensibiliser à la question du harcèlement psychologique. Les gestionnaires adéquatement formés comprennent les nuances du harcèlement psychologique et reconnaissent les signaux subtils qui peuvent souvent passer inaperçus. Bien souvent, cela permet d’anticiper et d’intervenir avant que la situation ne s’aggrave.
- De développer des leaders positifs. La promotion d’une culture du respect repose grandement sur le leadership. En entreprise, les gestionnaires servent de modèles et une formation adéquate les outille pour promouvoir des comportements respectueux au sein des équipes.
- D’assurer une intervention proactive et adaptée aux situations dénoncées. L’intervention adéquate face aux dénonciations est une compétence essentielle que la formation permet de développer.
- De minimiser les conséquences juridiques et financières découlant du harcèlement psychologique. En comprenant les risques liés à la non-application des politiques internes, les gestionnaires sont mieux équipés pour agir de manière proactive, protégeant ainsi l’entreprise contre des répercussions négatives potentielles.
L’enquête
Offrir une formation sur le processus d’enquête en harcèlement peut également s’avérer judicieux. En effet, sur réception d’une plainte recevable pour harcèlement psychologique, il est conseillé aux entreprises de confier le mandat d’enquête à un professionnel qui détient une expertise dans ce domaine. Toutefois, certains employeurs décident de désigner un ou une gestionnaire au sein de l’organisation.
Si c’est votre cas, assurez-vous que la personne en charge de l’enquête a reçu une formation portant sur les principes régissant une enquête en harcèlement psychologique. Cette formation devrait la doter des compétences nécessaires pour mener une enquête impartiale, comprenant la collecte appropriée d’informations, la conduite d’entretiens confidentiels et la prise de décisions éclairées.
Quelles sont les étapes d’une enquête?
Les processus peuvent varier d’une entreprise à l’autre. Toutefois, une enquête complète devrait comporter les étapes suivantes :
- L’évaluation de la recevabilité (critères énumérés à l’article 81.18 de la LNT)
- Les notifications aux parties concernées
- Les entrevues avec les témoins
- L’analyse des faits
- La rédaction d’un rapport définitif et de recommandations
- Une communication du rapport définitif aux parties
Ces étapes forment un processus intégré, chaque phase étant cruciale pour garantir une enquête juste, impartiale et efficace. L’enquête est une démarche rigoureuse. Elle permet une véritable analyse des faits allégués et évitera ainsi de sombrer dans les interprétations purement subjectives, les déductions sans fondement et les rumeurs. Une lecture réaliste et impartiale de la situation est essentielle pour une résolution du problème à la source. Sinon, les pistes de solutions ne seront qu’illusions.
En conclusion
Un environnement de travail respectueux qui favorise la prévention et la gestion du harcèlement psychologique est non seulement une responsabilité légale, mais aussi une condition essentielle pour assurer le bien-être de vos employés, ainsi que la réputation de votre organisation. En ce sens, la formation des gestionnaires est un investissement stratégique pour les entreprises. Elle crée des leaders conscients, favorise une culture de respect et minimise les risques juridiques, contribuant ainsi à un milieu de travail épanouissant et productif.
Sonia Kadi • Avocate, conseillère et formatrice en SST
Diplômée en droit de l’Université d’Ottawa, Me Sonia Kadi est membre du Barreau du Québec depuis 2020. Elle s’intéresse particulièrement au volet indemnisation des accidents et maladies professionnelles et à leurs répercussions. Avant de se joindre au Centre patronal SST, elle a notamment représenté des victimes de lésions professionnelles devant le TAT, analysé des dossiers SST, et assuré le suivi avec les médecins experts et autres intervenants.