Le Québec pourrait-il s’en inspirer?

La France active des passeports de prévention en SST

Par Jasmin Pilon

Hiver 2023-2024 (vol. 39, no 3)

Au cours des prochains mois, la France donnera aux travailleurs, aux employeurs et aux organismes de formation plein accès au « passeport de prévention », un espace numérique voué à l’enregistrement des formations en santé-sécurité.


Il s’agit, au meilleur de nos connaissances, d’une première initiative de la sorte dans le monde, en raison de l’accessibilité à tous les travailleurs, qu’ils soient actifs ou non, autonomes ou employés. Certes, à New York, par exemple, une approche numérique similaire est déjà mise en place avec le programme SST (Site Safety Training), qui tire aussi parti d’une interface dématérialisée. Mais celui-ci s’applique uniquement aux travailleurs du secteur de la construction. Au Royaume-Uni, des passeports SST existent également, mais ils ne semblent pas être formellement administrés par l’État.  


Ainsi, dès que la thématique du présent Convergence SST a été établie – soit les différentes facettes de la formation en SST – l’occasion d’examiner cet intrigant passeport déployé outre-Atlantique (en version bêta pour l’instant) fut toute trouvée.


Un passeport pour une sécurité accrue


Chaque jour en France, deux personnes perdent la vie au travail et plus de 100 autres sont victimes d’accidents graves. En 2021, plus de 600 000 accidents professionnels y ont été recensés. Parallèlement, la santé mentale des salariés tend à se détériorer. En France comme ailleurs, le manque de sensibilisation et de prévention est souvent montré du doigt comme étant l’un des principaux facteurs contribuant à ce sombre bilan.


À l’instar de leurs contreparties québécoises, les organisations françaises doivent assurer l’intégrité physique et psychique des travailleurs et des travailleuses. Ainsi, afin d’améliorer les compétences en santé-sécurité, entre autres, et d’endiguer la mortalité et les lésions professionnelles, le gouvernement a adopté la Loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, qui comprend notamment (art. 6 et 36) l’obligation pour l’employeur de compiler « dans un passeport de prévention les attestations, certificats et diplômes obtenus par le travailleur dans le cadre des formations relatives à la santé et à la sécurité au travail dispensées à son initiative ». 


Profiter d’un avantage numérique


Concrètement, le passeport de prévention est un espace Web sur lequel sont consignées les formations de santé-sécurité de tous types attribuées à un travailleur, qu’elles aient été fournies par l’employeur ou des organismes externes. Ces derniers ont d’ailleurs l’obligation d’inscrire dans cet espace l’ensemble des formations données, et les titulaires du passeport reçoivent une notification électronique lors des mises à jour. 


Le passeport concerne tous les travailleurs, peu importe le secteur d’activité dans lequel ils œuvrent. Il ne constitue cependant pas une obligation et demeure facultatif pour eux. D’ailleurs, ils peuvent octroyer un accès total ou partiel à leur passeport à leur employeur, ou à un recruteur. Ils ont également le loisir, s’ils le souhaitent, d’ajouter à leur dossier les formations suivies préalablement à l’instauration du passeport.    


Ceux et celles souhaitant activer leur passeport et profiter pleinement de ses fonctionnalités doivent d’abord accéder à l’interface (préexistante) de leur Compte personnel de formation (CPF), qui regroupe de multiples données complémentaires (sur l’orientation professionnelle, par exemple). L’authentification s’effectue par FranceConnect+, un programme gouvernemental d’identité numérique qui, de plus longue date, centralise l’accès à une multitude de services publics (assurance maladie, impôts, retraite, changement d’adresse, etc.). 


Avez-vous quelque chose à déclarer?


Certes, le passeport de prévention pourrait rebuter ceux et celles qui ont en aversion le tout numérique et la démultiplication des espaces sécurisés. Mais il comporte plusieurs avantages indéniables – même pour les personnes précédemment évoquées –, soit :


  • La garantie d’authenticité des données de formation. En toute transparence, les organismes de formation et les employeurs alimentent et mettent à jour le passeport et certifient de la sorte l’exactitude des informations.  

  • La conservation des renseignements dans un seul et même environnement numérique sécurisé, et ce, tout au long de la vie active des travailleurs et des travailleuses.

  • La mise en valeur des compétences en santé-sécurité. Ainsi, une personne en recherche d’emploi pourra se démarquer en transmettant son historique de formation aux entreprises visant des candidats ayant un profil SST recherché. Certaines formations peuvent être avantageusement transférables d’un employeur à l’autre tandis que d’autres sont obligatoires (pour effectuer des travaux sous tension, par exemple). 

  • Une meilleure vue d’ensemble et un historique des formations et savoirs acquis, de même que l’échéancier des formations à renouveler, le cas échéant, et celles à prioriser pour éviter les redondances. Cela profitera tant aux travailleurs qu’aux employeurs.

  • L’examen potentiel du passeport par les autorités, à l’occasion, par exemple, d’enquêtes suivant les accidents de travail.

  • Un accès facilité par l’entremise d’une plateforme préexistante qui requiert un identifiant et un mot de passe déjà établis, freinant ainsi le cumul des identités numériques. 

  • Un accès aussi possible à partir des téléphones et tablettes, via une application.


Certains observateurs, qui semblent minoritaires, considèrent toutefois le passeport de prévention comme une « obligation complexe et coûteuse ». Cela étant, ces doléances tombent à plat si l’on considère le retour sur investissement de la SST. Une étude récente de l’INRS rapporte d’ailleurs qu’une augmentation de 10 % des accidents du travail occasionne des pertes de productivité de 12 %.


Bientôt un passeport de prévention SST québécois?


Le passeport de prévention, présentement implanté de manière progressive en France, pourrait-il un jour être importé avec succès au Québec? Il est possible de le croire. Il faudra néanmoins s’armer d’un peu de patience, puisque la France semble globalement posséder quelques longueurs d’avance en ce qui a trait au déploiement de services numériques étatiques centralisés. 


Par exemple, un dossier médical en santé au travail (DMST) est déjà accessible de façon dématérialisée. Il recense notamment les risques d’exposition, les données sur l’état de santé des travailleurs et les avis médicaux afin de faciliter le suivi et la prise en charge. Le DMST est confidentiel et les employeurs n’y ont pas accès. Qui plus est, chaque année, ces derniers (ou les tiers mandatés) doivent obligatoirement mettre à jour dans un espace numérique ce qui est appelé le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), qui répertorie les résultats annuels de cette évaluation au sein de l’entreprise. Le DUERP s’apparente au programme de prévention de la CNESST. 


La numérisation (quasi) tous azimuts, bien présente en France, s’accélère aussi au Québec. On n’a qu’à penser à la signature de documents électroniques ou au Carnet santé en ligne de la Régie de l’assurance maladie du Québec. La CNESST n’est pour sa part pas en reste avec MonEspace CNESST, qui offre aux entreprises (ou à leurs représentants) et aux salariés plusieurs options en ligne : avis d’ouverture ou de fermeture de chantier, déclaration d’embauche de travailleurs étrangers temporaires, dépôt d’une plainte, demande de remboursement, etc. Et elle compte en ajouter d’autres progressivement.


Phénomène planétaire contemporain, le tout numérique s’ancre progressivement dans les différentes sphères de la société, et les autorités québécoises font preuve de leadership à cet égard. Cela laisse entrevoir de belles avancées pour la santé-sécurité. De la sorte, s’inspirant de la France, le Québec pourrait avantageusement permettre à un passeport de formation en SST de prendre son envol, un jour, lorsque les infrastructures numériques seront pleinement érigées.


Certains secteurs d’activité qui requièrent un encadrement SST plus rigoureux (manipulation de substances dangereuses, construction, etc.) pourraient, dans un premier temps, être privilégiés. De la même manière, assurer un suivi particulier des formations liées aux enjeux prégnants, tels que le harcèlement et la santé mentale, serait aussi opportun. Car une formation sur les obligations et moyens de prévention en matière de harcèlement suivie il y 10 ans, par exemple, est aujourd’hui désuète à bien des égards.


Bref, un passeport de prévention profitant d’un engagement concerté des différents acteurs pourrait faciliter la mise en valeur des compétences de santé-sécurité, améliorer le recensement des formations et rendre les milieux de travail plus sécuritaires. 

Jasmin PilonConseiller en communication

Jasmin Pilon s’intéresse particulièrement à la gestion stratégique de la communication et aux nouvelles technologies de la SST (EPI intelligents, robotique collaborative, cybersécurité, etc.), ainsi qu’aux enjeux qui les accompagnent. Il est titulaire d’une maîtrise en sciences de la communication et d’un baccalauréat en administration des affaires.