Mieux former les employeurs et les travailleurs étrangers temporaires pour prévenir les lésions professionnelles

Par Me Régine Manacé

Printemps 2023 (vol. 39, no 1)

Le nombre de lésions professionnelles chez les travailleurs étrangers temporaires ne cesse d’augmenter. Une meilleure formation constitue une piste de solution à explorer pour régler ce problème.


Le printemps annonce le début du travail saisonnier. Et des statistiques révèlent que le nombre de travailleurs étrangers temporaires (TET)¹ qui sont accueillis au Québec annuellement est passé de 23 300 en 2019 à 38 500 en 2022. Ce qui est alarmant, c’est que le nombre de lésions professionnelles observées chez les TET a plus que doublé, soit 154 en 2019 contre 362 en 2022. Comme vous l’avez constaté, l’augmentation est disproportionnée relativement au nombre de TET admis. À ce propos, je souhaiterais ici vous sensibiliser davantage en vous présentant deux décisions du Tribunal administratif du travail (TAT). Ensuite, je vous proposerai des formations pour mieux encadrer les travailleurs étrangers que vous accueillez dans votre organisation.


Affaire Lazo Bautista et Faille


La première affaire, Lazo Bautista et Faille, porte sur la réclamation pour maladie professionnelle d’un travailleur agricole saisonnier migrant. En 2012, à l’âge de 39 ans, l’ouvrier d’origine mexicaine commence à travailler chez son employeur, un exploitant de vergers de pommes et de bleuets. L’employé cesse de travailler en août 2016, après cinq saisons. Le TAT doit déterminer si le diagnostic de lymphome non hodgkinien est relié directement aux risques particuliers de l’emploi occupé. Le TAT prend en compte l’ensemble de la preuve, notamment :


  • l’exposition du travailleur à de multiples pesticides, dont deux cancérogènes probables;
  • les conditions d’exposition non sécuritaires;
  • l’état actuel des connaissances médicales et scientifiques : une telle exposition étant de nature à causer un lymphome non hodgkinien;
  • l’absence d’autres étiologies ou facteurs de risque en preuve.


Le TAT conclut que le travailleur a réussi à démontrer que la relation entre sa condition médicale et les risques particuliers de son emploi est plus probable qu’improbable. La réclamation pour maladie professionnelle est donc accueillie.


Affaire Succession de Batzibal et Cultures Fortin inc.


La deuxième cause est Succession de Batzibal et Cultures Fortin inc. La succession du travailleur étranger agricole décédé cherche à faire reconnaître la connexité entre le travail de ce dernier et le tragique événement. Au moment de l’accident, le travailleur avait déjà œuvré plusieurs saisons pour son employeur. Le 18 juillet 2021, alors que le TET est en train de réparer une crevaison, le véhicule s’effondre sur lui. Le coroner conclut, après enquête, à une mort violente accidentelle par asphyxie.


La principale question devant le TAT est de déterminer si l’accident est survenu à l’occasion du travail. La jurisprudence permet d’identifier une série d’éléments qui peuvent être pris en compte dans cette analyse. Le TAT en a retenu quatre :


  • Le lieu de l’événement.
  • Le degré d’autorité ou de subordination de l’employeur lorsque l’évènement ne survient ni sur les lieux du travail ni durant les heures de travail.
  • La finalité de l’activité exercée au moment de l’évènement, qu’elle soit incidente, accessoire ou facultative aux conditions de travail.
  • L’utilité relative de l’activité du travailleur au regard de l’accomplissement du travail.


Ultimement, le Tribunal déclare que l’accident du TET n’est pas survenu à l’occasion du travail, car il n’y a pas de lien de connexité entre la réparation de la crevaison et le travail d’ouvrier agricole. À titre informatif, le débat n’est pas complètement tranché, car la décision du TAT fait l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure².


Une proposition de formations


Après avoir examiné ces deux causes, on peut se demander comment ces évènements auraient pu être évités. La première réponse qui me vient à l’esprit est qu’il faudrait offrir un meilleur encadrement aux employeurs et aux TET. À cet égard, je vous propose deux services offerts par ma collègue Lorena Fernández.


Premièrement, une formation d’une durée de trois heures et demie à l’intention des gestionnaires, du personnel des ressources humaines, des superviseurs, des contremaîtres, etc.³. Il y a trois objectifs associés à cette formation :


  • Distinguer les différentes catégories d’immigration.
  • Comprendre la réalité des immigrants en milieu de travail.
  • Prendre connaissance des méthodes de prévention et d’intervention adaptées aux travailleurs immigrants.


Deuxièmement, une séance d’information pour les travailleurs étrangers temporaires⁴. Cette conférence gratuite est offerte en espagnol et en français. D’une durée d’une heure, elle comporte trois volets :


  • Les éléments de base sur le régime de SST québécois
  • Les notions de base en SST
  • Les différences culturelles et la SST


Il faut espérer que les efforts soutenus pour mieux former les employeurs et les TET porteront fruit et que les lésions professionnelles diminueront. C’est à suivre!



NOTES


1. Mise en garde : le sigle TET est utilisé pour désigner les travailleurs étrangers temporaires. Il ne faut pas y voir un manque de courtoisie, mais uniquement une manière d’alléger le texte.


2. Au moment de rédiger cet article, la décision de la Cour supérieure n’avait pas encore été rendue.


3. Retrouvez tous les détails de la formation Travailleurs immigrants et la SST.


4. Retrouvez tous les détails de la conférence Stratégie de prévention pour les travailleurs étrangers temporaires.



Régine ManacéAvocate, conseillère et formatrice en SST

Me Régine Manacé possède un baccalauréat en droit de l’Université du Québec à Montréal et une attestation de deuxième cycle en enseignement postsecondaire de l’Université de Montréal. Membre du Barreau, elle a amorcé sa carrière comme avocate en pratique privée en droit criminel et en défense, menant parallèlement une activité de formatrice en droit du travail. Elle a ensuite fait un passage à la Direction des poursuites criminelles et pénales, et auprès d’une ville, en tant que procureure.