En matière de santé-sécurité, le bruit est généralement associé à des activités ou à des lieux bien précis. Les usines et les chantiers de construction, qui sont encadrés par des limites légales d’exposition sonore (85 dB(A) pour 8 heures de travail), viennent d’abord à l’esprit.
D’autres types de sons, émanant des bureaux, peuvent aussi miner le bien-être et faire violence à ceux et celles qui les subissent, sans qu’il s’agisse pour autant de bruits de marteaux de démolition et de scies à béton.
Des espaces ouverts…
« D’un côté, faire part d’une attitude dérangeante n’est pas aisé. De l’autre, s’isoler est parfois mal vu. »
Misant sur des espaces plus ou moins décloisonnés, les bureaux structurés de manière ouverte sont les plus susceptibles de produire des nuisances sonores. Ayant gagné en popularité à partir des années 1970, ils ont été conçus pour favoriser la circulation d’informations, la résolution de problèmes et la prise de décisions collectives. Bref, pour rendre les organismes plus efficients.
Ils peuvent de surcroît faciliter les communications impromptues, parfois entre individus de catégories socioprofessionnelles différentes, briser l’isolement des salariés, enrichir le processus créatif et consolider l’esprit d’équipe.
Qui plus est, ce type d’organisation permet aux entreprises de réaliser des économies considérables, puisqu’il nécessite environ 50 % moins d’espace qu’un aménagement pleinement emmuré. Aux États-Unis, avant la pandémie, environ 70 % des employés de bureau travaillaient dans une configuration ouverte.
… ouverts au brouhaha, au chahut, au boucan
« Des collègues profitaient des espaces ouverts pour écouter mes conversations et allaient ensuite tout raconter (de travers) à mes supérieurs. »
Cet idéal organisationnel se heurte cependant aux réalités du terrain accompagnant une densité humaine prononcée et séparée a minima. On compte parmi celles-ci le bruit ambiant qui, selon nombre d’études, constitue la source de désagrément la plus rapportée dans les bureaux ouverts. Les appels téléphoniques et les conversations de groupe provoqueraient les plus grandes distractions, suivis par les bruits mécaniques (un ventilateur, par exemple).
Ainsi, entre les discussions animées, les sonneries téléphoniques interminables des appareils laissés sur les bureaux, les ritournelles des alertes de messagerie, le couinement de la photocopieuse et le voisin de cubicule qui grignote agressivement ses pistaches, les distractions peuvent être nombreuses. A fortiori pour celles et ceux dont les tâches requièrent une attention ou une vigilance optimale. En pareil cas, la perte en productivité peut être conséquente : chaque travailleur gêné par le bruit mettrait environ 10 minutes avant de retrouver son niveau initial de concentration.
Concilier la nécessité de proximité physique et de collaboration avec le bien-être et la productivité n’est pas toujours aisé. Dans certains cas, cela relève même de la fiction. À la longue, cette accumulation de désagréments sonores peut entraîner de l’irritabilité, de la fatigue cognitive, du stress, et provoquer un sentiment d’impuissance. En fait, le bruit dans les espaces ouverts accentuerait de 25 % la mauvaise humeur et serait corrélé aux tensions et à l’agressivité au sein des équipes.
« Mon meilleur achat pour la productivité a été un casque antibruit haut de gamme. Il m’est devenu indispensable. »
Marre du tintamarre : que faire
La Loi sur la santé et la sécurité du travail oblige les organisations à protéger l’intégrité psychique des travailleurs et des travailleuses. Les entreprises voudront ainsi considérer les multiples solutions qui s’offrent à elles afin de minorer les bruits excessifs empoisonnant l’existence de leur effectif :
- Fournir aux employés des casques d’écoute (antibruit).
- Mettre à disposition des salles de travail de petites et moyennes tailles où s’isoler.
- Ajouter des éléments de décoration en guise d’écran sonore (tapis, artéfacts, plantes, etc.).
- Munir les chaises de feutres (glisseurs).
- Poser des panneaux acoustiques aux murs et aux plafonds.
- Utiliser une peinture ou des composés d’application antibruit (oui, cela existe!).
- Instaurer une politique de civisme et procéder à des rappels périodiques.
Le personnel en proie aux agressions sonores réagira différemment selon le contexte et l’aménagement des lieux. Les mécanismes d’adaptation les plus courants incluent l’écoute de musique avec un casque (55 %), les pauses (40 %) et l’éloignement (34 %). Moins de 7 % des salariés demanderaient à leurs collèges de cesser leurs activités bruyantes.
Les employés, qui tour à tour peuvent être bourreaux et victimes du bruit, ont aussi un rôle à jouer pour entretenir une saine cohabitation. Ils pourront de la sorte :
- Mettre leur téléphone en mode vibration (en évitant surtout de le laisser sans surveillance).
- Ne pas hésiter à profiter des salles pour s’isoler ou parler plus longuement à un confrère ou une consœur.
- S’éloigner des collègues tapageurs si possible (en bureau à la carte).
- Avoir déjà en main une liste d’écoute (chants grégoriens, ambiance zen, etc.).
« Quand le nouveau directeur est entré en poste, il a demandé aux employés ce qu’ils considéraient être le plus urgent.
"Remettre des murs", ont-ils indiqué. »
Universaliser ses perceptions, dans ce contexte, est également à proscrire. De manière générale, les personnes introverties afficheraient une plus grande sensibilité au bruit, tandis que les jeunes travailleurs seraient plus à l’aise en espace ouvert que leurs collègues plus âgés. Mieux vaut alors ne pas jouer les rabat-joie et accepter certains débordements occasionnels que de sauter à la gorge des gens à la moindre occasion. Inversement, certains doivent aussi accepter ceux et celles qui souhaitent s’isoler ponctuellement, sans pour autant y voir là de l’asociabilité.
Pour un vivre-ensemble acoustique
Trouver un point d’équilibre, selon la nature de ses activités, la configuration des espaces et le mode de travail (présentiel, hybride) représente un défi pour toutes les entreprises dont les employés accomplissent leurs tâches en espace ouvert, et pour lequel il n’existe pas de solution universelle.
Les salariés travaillant aussi à distance s’accommoderont plus facilement des moments tumultueux, peut-on croire. Ceux et celles qui se déplacent au bureau de manière récurrente, en contrepartie, pourraient profiter de l’instauration, par un employeur avant-gardiste, de périodes de silence généralisé prévues à heures fixes, comme le prône la docteure en neuroscience Sonia Lupien.
À chacun de trouver le bon dosage.
« Étant aux prises avec un trouble de déficit de l’attention, les mouvements et déplacements dans les bureaux ouverts occasionnent régulièrement de la distraction. Mais je réussis tout de même à m'y adapter. »
NB. – Toutes les citations précédentes sont issues d’échanges récents avec des professionnels œuvrant ou ayant œuvré en bureau ouvert.
Jasmin Pilon • Conseiller en communication
Jasmin Pilon s’intéresse particulièrement à la gestion stratégique de la communication et aux nouvelles technologies de la SST (EPI intelligents, robotique collaborative, cybersécurité, etc.), ainsi qu’aux enjeux qui les accompagnent. Il est titulaire d’une maîtrise en sciences de la communication et d’un baccalauréat en administration des affaires.