La plupart d’entre nous souhaiteraient éviter toute source de conflit. Pour autant, cela demeure utopique. Certains gestionnaires minimiseront les indices en faisant preuve de laxisme, ou même d’aveuglement volontaire. D’autres seront réactifs, mais pas nécessairement de la bonne façon. Il faut en effet un certain recul pour ne pas porter de jugement hâtif ou procéder trop rapidement à une déduction, de même qu’une bonne dose de courage managérial, afin d’intervenir de façon constructive.
Avant d’aller plus loin, voyons rapidement les définitions proposées lorsqu’il est question de courage managérial. Nous pourrions dire qu’il s’agit « du niveau de détermination d'un gestionnaire à prendre les directions et les orientations nécessaires, même lorsqu'elles pourraient causer de l'insatisfaction ou une certaine désapprobation de la part de ses interlocuteurs ».
Sous un autre angle, le dictionnaire Larousse définit l’origine du courage comme étant la fermeté et la force de caractère « qui permet d'affronter le danger, la souffrance, les revers et les circonstances difficiles ».
Et si le courage n’était pas une option, mais une responsabilité?
Imaginons la scène suivante : dans un contexte familial, un parent doit intervenir lorsque la pagaille survient entre un frère et une sœur. Celui-ci fait-il preuve de courage ou de responsabilité en tentant de résoudre le conflit? La réponse est probablement un peu des deux. Il faut évidemment du courage pour s’interposer, mais également assumer ses responsabilités, car les parents doivent assurer une bonne harmonie familiale.
Transposons maintenant cette réflexion en milieu de travail, où la notion de famille se transforme en notion d’équipe.
Comme dans une famille, les membres d’une équipe partagent le même environnement, mais dans un contexte différent. Chaque salarié possède des talents distincts, ainsi que des motivations personnelles, au service d’un objectif organisationnel commun. Alors, qu’en est-il lors d’un dérapage relationnel? Doit-on :
- S’attendre à ce que les gens règlent ça d’eux-mêmes?
- Ne pas s’en mêler, sous prétexte que c’est sûrement banal?
- Se dire qu’il s’agit d’adultes qui finiront par se calmer et se comprendre?
- Juger qu’il n’est pas de notre responsabilité d’intervenir?
Si vous avez répondu oui à une seule de ces questions, vous avez sans doute arrosé une graine pouvant donner naissance à un conflit. Le manque de courage managérial entraîne des conséquences non seulement sur la productivité et la performance de l’équipe, mais également le moral des troupes. On s’attend généralement à ce que les bonnes pratiques SST soient respectées, mais ne soyons pas surpris si ce n’est pas toujours le cas. Un conflit sous-jacent pourrait-il expliquer certains comportements de résistance?
Nous ne parlons pas ici seulement du devoir de responsabilité en général, mais également de diligence raisonnable en contexte d’autorité. Intervenir avec fermeté lorsque la prévoyance et l’efficacité n’ont pas donné les résultats escomptés, c’est faire preuve de responsabilité, de leadership et de courage.
Voici sept indices (attitudes) pouvant suggérer qu’un gestionnaire manque à son devoir managérial :
- Nier l’existence d’un conflit potentiel.
- Éviter d’intervenir en situation conflictuelle.
- Éviter d’aborder directement les fondements du litige.
- Ne pas prendre position fermement.
- Ne pas expliquer son évaluation de la situation.
- Hésiter dans ses décisions.
- Craindre d’offusquer les parties concernées.
À l’inverse, faire preuve de courage managérial c'est savoir affronter les problèmes, bien s'entourer, prendre des décisions éclairées, et ce, même quand elles sont délicates et difficiles, tout en demeurant fidèle aux valeurs organisationnelles.
Les six compétences suivantes alimentent le courage managérial :
- Savoir diriger en donnant une orientation claire.
- Assumer sa responsabilité à titre d’intervenant.
- S’entourer des bonnes ressources.
- Savoir exprimer sa vulnérabilité.
- Faire preuve de perspicacité, de discernement et d’autonomie.
- Éviter le déni et la procrastination en affrontant la réalité, sans détour.
Ces compétences sont toutes aussi essentielles que stratégiques car, sans elles, le gestionnaire stagnera au milieu d’un champ de mines, sujet à mille et une mauvaises surprises pouvant devenir ingérables.
Conflits et sources de dérapage
Ayant maintenant bien saisi le sens de nos responsabilités et ce qu’est le courage managérial, voyons comment un conflit peut prendre racine. J’attire votre attention sur le fait qu’un conflit n’est pas qu’un résultat, mais un parcours évolutif qui peut croître et dégénérer sans une intervention pertinente, stratégique et opportune.
L’illustration ci-après permet de visualiser l’émergence et l’évolution d’un conflit. Elle est tirée de l’ouvrage Comment désamorcer les conflits au travail, de la psychologue organisationnelle québécoise Ghislaine Labelle.
Constats et réflexions
Le premier constat que l’on fait en examinant cette illustration est que le temps ne joue pas en notre faveur. Plus nous procrastinons et repoussons une intervention appropriée, plus les conséquences risquent de s’amplifier et d’impliquer plusieurs personnes. Malheureusement, lorsque la prise en charge d’un conflit s’opère tardivement, le mal est bien souvent déjà fait. Une fois le point de bascule franchi, on ne peut qu’observer les conséquences et, parfois, les tragédies.
Il n’est cependant jamais trop tard pour intervenir, même si, de ce fait, il ne sera plus possible d’éviter les lourdes conséquences personnelles et organisationnelles. Nous avons donc intérêt à être vigilants – sans être intrusifs – pour éviter qu’une étincelle puisse tout faire voler en éclat. Évidemment, j’entends par là qu’un simple malentendu peut se dégrader et tourner à la confrontation.
Au-delà du malentendu, il faut éviter de tomber dans le piège du déni. Ainsi, il est important de savoir déterminer s’il s’agit d’un conflit d’origine professionnelle ou interpersonnelle.
Par exemple : sommes-nous face à un désaccord quant à l’application ou à l’interprétation d’une procédure opérationnelle (conflit professionnel), ou faisons-nous plutôt face à un refus de collaboration entre collègues à la suite d’un comportement d'incivilité (conflit personnel)? Évidemment, selon la nature du conflit, la stratégie d’analyse et de réconciliation ne sera pas la même.
Pièges et conséquences selon les étapes du conflit
Examinons à présent les composantes du graphique sur la gestion des conflits.
L’exclusion : Cette prémisse demeure en apparence inoffensive. Pourtant, une mise en garde s’impose : un affrontement risque d’émerger tôt ou tard. Le sentiment d’exclusion peut s’exprimer de différentes façons, et en diverses circonstances. Ainsi, selon le contexte, une personne peut se sentir mise à part, dévalorisée, ignorée, déconsidérée, etc.
Cela peut survenir, par exemple, lors :
- De l’intégration d’un nouvel employé.
- D’un changement de fonction ou d’une mutation.
- De l’adaptation à un nouveau patron ou à un nouveau mode de gestion.
- Du rehaussement des objectifs ou des critères de performance.
- De la participation (ou non) à un projet ou à un processus de consultation.
- D’une restructuration organisationnelle.
- De la remise d’une rencontre importante et attendue.
L’affrontement : Cette seconde étape prendra forme et s’amplifiera au fur et à mesure que les opinions, les interprétations, les attentes et les intérêts divergents se multiplieront. Cette dynamique pourrait entraîner du dénigrement ou de la contestation. À ce stade, le terrain devient propice aux incivilités et au harcèlement psychologique.
Le point de bascule : Il représente le point de non-retour. Les dégâts peuvent laisser des marques – parfois indélébiles – à court, à moyen ou même à long terme.
La formation de clans : Rendu à ce stade, la mauvaise énergie qui circule peut rendre le climat de travail toxique et diviser les gens selon leur allégeance. Généralement, cela se cristallise par un clan du POUR et un clan du CONTRE!
Escalade et éclatement : Croyez-moi, toute organisation cherche à tout prix à éviter le stade de l’implosion, qui empêche de maîtriser les situations et favorise les jeux de coulisse et la protection des intérêts personnels.
La rupture : Cette dernière étape peut malheureusement annoncer une tragédie humaine, et l’on réalise souvent à ce moment que l’on a perdu une belle occasion d’intervenir et d’assumer ses responsabilités de gestionnaire, même si de multiples indices laissaient entrevoir la situation.
Parmi les manifestations de rupture, on note :
- Le présentéisme
- Le désengagement ou les protestations
- Les actes de sabotage
- Les démissions ou demandes de réaffectation (poste, service, région, etc.)
- Les retraites prématurées, les années sabbatiques, les changements de statut (de temps plein, à temps partiel) ou les congés maladie
- La détresse psychologique et les plaintes pour harcèlement
- Les manifestations d’incivilité
- Les menaces et les comportements violents
- L’acte irréparable (suicide)
Conclusion
Agir en amont demande une bonne dose de courage et de clairvoyance. En contrepartie, réagir en pleine tempête exigera beaucoup plus d’énergie et d’investissement, sans toutefois contenir entièrement les dégâts. En transposant et en s’inspirant des principes de santé-sécurité, la gestion de conflit mérite d’être abordée sous un angle préventif plutôt que correctif. De la sorte, tant sur le plan humain qu’organisationnel, tout le monde en sortira gagnant.
Alain Tremblay, CRHA, RCC • Conseiller et formateur en SST
Alain Tremblay est titulaire d’un baccalauréat multidisciplinaire (relations industrielles et SST), d’une maîtrise en gestion et développement des organisations, et d’une certification en coaching professionnel (RCC). Reconnu pour son authenticité, son sens de la communication et de l’écoute, il possède une riche expérience professionnelle, ayant déjà agi à titre d’enquêteur, d’inspecteur, de gestionnaire, de formateur en entreprise et de chargé de cours au collégial, en plus d’être intervenu dans le secteur industriel et le milieu municipal.