Convaincre est un art parfois difficile. Mais l’expérience d’autres gestionnaires et intervenants constitue une source d’inspiration permettant de mieux esquisser le bon déploiement de vos changements en SST.
J’avais effectué, il y a quelques années, un tournage vidéo à l’entreprise Prinoth, à Granby. La raison de ma présence était un de leur superviseur, Monsieur René Boisvert. J’avais rencontré René lors d’une formation, et il avait attiré mon attention par la qualité de ses interactions avec ses équipiers. J’ai alors voulu réaliser une capsule sur ses stratégies en la matière.
À un moment, René m’a avoué qu’il ne réussissait pas toujours à aller chercher l’engagement de tous ses employés pour ses projets de SST. Il lui restait à convaincre ceux qu’il appelait « ses coriaces » (les employés réticents au changement), et il m’avait demandé si je connaissais un truc pour y arriver. Je me souviens encore de ma réaction. J’étais à vrai dire sans réponse.
Depuis, chaque fois que je rencontre des superviseurs, je suis très attentif à leurs stratégies. Dans ce texte, je partage quelques trucs retenus au fil des ans qui permettent d’aller chercher l’engagement des personnes les plus réticentes au changement.
Convaincre, c’est avant tout un état d’esprit
Projet de sécurisation des machines, nouveau logiciel en prévention, intelligence artificielle : nos entreprises sont en constante évolution et sujettes à de multiples changements en SST. Pour chaque nouveau procédé, nous nous retrouvons devant un groupe de personnes à convaincre, et chacun a son propre bagage (expérience, valeurs, croyances, etc.). Il est donc normal que certains soient plus difficiles à persuader.
Ceux-ci peuvent refuser de croire au changement proposé (déni), s’opposer vivement (colère), affirmer haut et fort que c’était mieux avant (nostalgie) ou vouloir des arrangements (négociation). Peu importe leur réaction, si on veut obtenir un jour leur adhésion, il faut accepter dès le départ que des personnes aient des préoccupations. Là est notre défi : gagner leur adhésion. Autrement, notre projet est en péril.
Notre alliée de toujours : la communication
La première étape d’un changement consiste à expliquer sa nécessité. Autrement dit, les raisons qui le motivent. Si tout se passe bien, nous aurons la majorité des personnes avec nous. Notre changement s’inscrit dans une logique, et nous devons l’expliquer. Les salariés doivent sentir la cohérence du processus. Après nos premières rencontres d’information, il restera bien sûr quelques indécis et sceptiques. Voilà pourquoi votre argumentaire doit être constitué de faits… de faits vérifiables; les sceptiques aiment valider eux-mêmes l’information. Vous en convaincrez peut-être 2 ou 3 de cette façon; 2 ou 3 sur 8, 9 ou 10 sceptiques, c’est déjà beaucoup!
Les gens s’opposent souvent au changement parce qu’on les sort de leur zone de confort. Ils ont des habitudes, et avec nos modifications, nous venons les perturber; ils n’y voient que des désavantages. Sachant cela, c’est à nous de présenter les choses autrement. Ainsi, faites part des bienfaits qu’apportera la réorganisation pour l’entreprise. De la même manière, n’oubliez pas de faire connaître les avantages qu’ils en tireront eux aussi. Encore là, vous gagnerez peut-être quelques joueurs indécis, puisque l’humain a tendance à évaluer les options en pesant le pour et le contre.
Les changements requièrent une période d’adaptation et des efforts. Ne tentez donc pas de minimiser cette étape. Soyez plutôt transparent et rassurant. En donnant le temps nécessaire, en offrant de l’accompagnant et en reconnaissant les efforts à chaque étape, ceux qui sont moins sûrs se sentiront plus en confiance.
Finalement, soyez ouverts aux commentaires, aux questions et aux préoccupations. Il n’y a rien de pire, lorsqu’on se voit annoncer un changement, que de ne pas pouvoir s’exprimer et d’être mis devant un fait accompli. Prioriser ainsi les plus petits groupes. Cela donne plus de temps de parole.
Si par ailleurs vous devez aborder des sujets chauds qui ne touchent que certaines personnes, rencontrez-les séparément. Elles pourront s’exprimer pleinement, sans craindre d’étirer la réunion pour ceux qui ne sont pas concernés, et se sentiront respectés.
Écouter et, si possible, susciter l’engagement
Je ne compte plus le nombre de superviseurs qui, lorsque je les questionne sur la manière de susciter la collaboration, me répondent spontanément : « l’engagement! », « la participation ». En offrant un mandat concret à un travailleur résistant – s’il accepte –, celui-ci se trouvera motivé; il pourra obtenir un succès et en sera fier. Cela peut être aussi simple que de participer à un comité de SST. Il y a tellement de projets qui permettent aux travailleurs de s’investir, et la seule limite est votre imagination.
À titre d’exemple, à la fin de mes études, je me suis occupé du dossier prévention pour les industries Maibec, une scierie de 350 employés dans ma région d’origine, la Côte-du-Sud. J’y avais travaillé auparavant comme journalier lors de mes emplois d’été et je connaissais bien la plupart des employés, dont quelques-uns moins réceptifs aux changements.
En tant que coordonnateur en SST, j’avais alors beaucoup de projets à proposer. Certains nécessitaient des changements exigeants pour les employés. Mon truc préféré pour que ça marche : je sollicitais la participation des travailleurs dans le processus et, si possible, j’offrais un rôle d’importance à l’un de ces employés moins convaincus. J’ai obtenu du succès à quelques reprises en agissant ainsi.
Entre autres, nous avions sollicité un formateur interne pour l’utilisation sécuritaire de la scie à chaîne. J’avais offert ce rôle à Marcel, qui avait la réputation d’être un employé difficile à convaincre. Ce dernier a accepté ma proposition. Nous l’avons inscrit à une formation solide pour être formateur interne en utilisation sécuritaire de la scie à chaîne. Il a ainsi encadré et entraîné 150 de ses confrères qui avaient à utiliser cet outil.
Ce n’est pas tout : il a aussi donné la formation à d’autres équipiers qui n’avaient pas à utiliser la scie en usine, mais qui étaient curieux et voulaient acquérir ces connaissances. Nous avons fait confiance à Marcel et nous avons eu raison de le faire, car ce fut un succès! Par la suite, il est devenu un allié sûr pour tout ce qui concerne les questions de sécurité. Il est la preuve qu’on peut métamorphoser un employé sceptique.
N’oubliez pas que vos travailleurs sont directement touchés par le changement. Ce sont des experts à leur poste de travail et ils peuvent avoir de très bonnes idées. Et chaque idée qui vient des salariés représente un frein de moins à l’acceptation du changement.
Rappelez-vous toujours que les changements apportent, pendant une certaine période, des difficultés pour eux. Votre écoute est donc importante. En groupe, bien sûr, lors des séances d’information, mais aussi de manière individuelle. Certains employés aiment particulièrement qu’on aille vers eux pour les consulter et échanger.
Ayez aussi recours à vos employés convaincus!
Heureusement, nombre d’employés sont moins difficiles à convaincre. Ne travaillez donc pas seul et faites aussi appel à ces ambassadeurs.
À ce sujet, une entreprise où j’ai donné une formation un jour m’a grandement impressionné, si bien que j’y étais retourné pour préparer une capsule vidéo. Il s’agit de Soprema, à Drummondville, qui avait mis en place un programme d’ambassadeurs SST.
Une quarantaine d’employés, sur une base volontaire, avaient choisi de jouer ce rôle. Ils avaient comme mandat de promouvoir la SST, d’intervenir auprès de leurs pairs et de les accompagner dans les changements en santé-sécurité, comme des coachs. Attention, par contre, de bien former ces ambassadeurs. À ce sujet, ma collègue Dominique Beaudoin anime une excellente formation : Comment bien faire passer vos messages en SST. Elle avait d’ailleurs donné cette formation aux ambassadeurs de Soprema.
Les superviseurs soulignent également que les employés récalcitrants ont parmi leurs pairs des amis qui peuvent exercer une influence positive et transformer les façons d’aborder le changement.
Cela m’amène à un conseil important : il faut aussi « laisser le temps au temps ». On doit être patient et admettre qu’un changement réussi s’effectue dans la durée seulement, surtout s’il est de grande ampleur et nécessite beaucoup d’efforts.
Donc, informez, écoutez et engagez la participation. Faites-vous des alliés mais, surtout, acceptez que tous vos travailleurs n’adhèrent pas d’emblée au changement. Cela pourra prendre temps et efforts pour tous les gagner. Et vous n’avez pas le choix, car vous voulez que votre changement soit réussi!