Comprendre la Loi sur l’encadrement du travail des enfants

Par Louise Neveu, CRHA

Automne 2023 (vol. 39, no 2)

La Loi sur l’encadrement du travail des enfants (LETE) compte au plus 20 articles, mais elle nous entraîne dans les méandres d’autres lois qui ne nous sont pas toutes familières, telles que la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, du cinéma, du disque, de la littérature, des métiers d’art et de la scène (chap. S-32.1). On est essoufflé juste à lire son nom!


Cet article vise à simplifier la compréhension et l’ordonnance de l’ensemble des nouvelles obligations des employeurs en regard au travail des enfants.


Ainsi, les lois et règlements cités ou modifiés par la LETE sont les suivants :


Le contexte de la nouvelle législation


Plusieurs facteurs ont favorisé le besoin de légiférer vis-à-vis le travail des enfants. Mentionnons entre autres :

  • Une pénurie de main-d’œuvre dans tous les secteurs économiques.
  • Les départs massifs à la retraite de baby-boomers.
  • Une hausse marquée des lésions professionnelles chez les jeunes travailleurs de moins de 19 ans.
  • Le nombre croissant de très jeunes travailleurs (moins de 15 ans) dans les secteurs du commerce de détail, de la restauration et de l’hébergement.
  • L’augmentation rapide de l’inflation ces deux dernières années.
  • L’absence de législation fixant un âge minimal à l’embauche d’enfants.


En ce qui a trait à ce dernier point, le Québec marquait un retard important en regard aux autres provinces. Par exemple, l’âge légal d’embauche est de 15 ans en Colombie-Britannique et au Manitoba, et de 14 ans en Alberta et en Saskatchewan. Pour les organisations de compétence fédérale, la limite est de 17 ans. Quant aux heures maximales de travail, elles s’établissent à 16 heures par semaine pour les moins de 15 ans dans les provinces mentionnées précédemment, sauf au Manitoba, où le nombre maximal d’heures hebdomadaires est de 20.


Mentionnons que la LETE n’est pas, par elle-même, une nouvelle loi, mais une loi qui ajuste des lois et règlements déjà existants, comme c’est le cas de la LMRSST, qui modifie tout le régime de santé-sécurité ainsi que plusieurs autres lois, et ce, afin d’assurer la cohérence de l’ensemble de celles-ci.


Le tableau ci-après synthétise les interdictions, les exceptions et les conditions d’application des exceptions. Ces éléments précisent l’âge minimal requis, le nombre d’heures hebdomadaires de travail, et spécifient les types de travaux pouvant donner lieu à une exception relative à l’âge minimal. L’ensemble de ces conditions s’intègre dans la LNT et le RNT.


Tableau 1. Modifications à la LNT et au RNT

Interdiction
Exception
Conditions

Travail effectué par des enfants de moins de 14 ans (LETE, art. 2).

Cas et conditions, pour les enfants de moins de 14 ans, déterminés par règlement. La LETE modifie le RNT par l’ajout de l’article 35.0.3 à ce règlement qui précise les cas et conditions d’exception.



1. Créateur ou interprète de productions artistiques (Loi sur le statut pro. des artistes…, S-32.1, art. 1).


2. Livreurs de journaux ou autres publications.

  • Obtenir le consentement écrit du titulaire de l’autorité parentale ou du tuteur.
  • Obtenir le consentement prévu avant le 1er juillet 2023 pour la période estivale de 2023.
  • Utilisation du formulaire de consentement établi par la CNESST.
  • Faire parvenir un nouveau formulaire de consentement en cas de modification aux principales tâches, aux heures de travail par semaine, aux périodes de disponibilité de l’enfant.
  • L’employeur doit conserver, sous forme d’enregistrement ou de registre, tout formulaire de consentement (les initiaux et ceux des modifications), et ce, pour une période trois ans.


3. Gardien d’enfants occasionnel.



4. Aide aux devoirs ou tutorat.



5. Entreprise familiale de moins de 10 salariés.

  • Être l’enfant de l’employeur ou, si personne morale ou société, être l’enfant de. . . (LETE, art. 13, 2e par., 5o).
  • Le travail doit être effectué sous la supervision d’une personne de 18 ans et plus.


6. Organisme à but non lucratif ou à vocation sociale ou communautaire.


7. Organisme sportif à but non lucratif, pour assister ou en soutien.

  • Mêmes conditions que pour les exceptions 1 et 2.



8. Seulement des travaux légers dans une entreprise agricole de moins de 10 salariés¹.

  • Âge minimum de 12 ans.
  • Le travail doit être fait sous la supervision d’une personne de 18 ans et plus.


Faire effectuer un travail plus de 17 heures par semaine et plus de 10 heures du lundi au vendredi (LETE, art. 3, en ajout à la LNT, art 84.4), et ce, pour tous les enfants obligés de fréquenter l’école.

Sauf pour toute période de sept jours consécutifs, quand aucun service éducatif n’est offert (ex. : vacances estivales, semaine de relâche, congés des Fêtes).



Les articles 14 et 15 de la LETE modifient les articles 35.1 et 35.2 du RNT, qui se liront dorénavant comme suit (les parties citées en gras dénotent les modifications et ajouts) :


RNT – Section VI.1 – Travail des enfants


Article 35.1

« L’interdiction à un employeur de faire effectuer un travail par un enfant, entre 23 h, un jour donné, et 6 h le lendemain, n’est pas applicable dans le cas d’un travail effectué à titre de créateur ou d’interprète dans un domaine de production artistique visé au premier alinéa de l’article 1 de la Loi sur le statut professionnel des artistes visuels, du cinéma, du disque, de la littérature, des métiers d’arts et de la scène (chapitre S-32.1). »


Article 35.2

« L’obligation d’un employeur qui fait effectuer un travail par un enfant, de faire en sorte que les heures de travail soient telles, compte tenu du lieu de résidence familiale de cet enfant, que celui-ci puisse être à cette résidence entre 23 h, un jour donné, et 6 h le lendemain, n’est pas applicable dans les cas, circonstances, périodes ou conditions suivants :


« Un travail effectué à titre de créateur ou d’interprète dans un domaine de production artistique visé au premier alinéa de l’article 1 de la Loi sur le statut professionnel des artistes visuels, du cinéma, du disque, de la littérature, des métiers d’arts et de la scène (chapitre S-32.1). »


Les dispositions relatives au nombre d’heures de travail par semaine sont en application depuis le 1er septembre 2023.


Modifications à la LSST


L’entrée en vigueur de la LETE a aussi entraîné des répercussions sur plusieurs articles de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) et de la Loi modifiant le régime de santé et de sécurité du travail (LMRSST). La majorité des modifications apportées par les articles 7, 8, 9, 10 et 11 de la LETE portent sur l’identification des risques à la santé et à la sécurité pouvant toucher particulièrement les travailleurs de 16 ans et moins.


L’article 59 de la LSST définit le contenu d’un programme de prévention. Cet article, déjà modifié par la LMRSST (art. 144), s’enrichit d’une nouvelle obligation (en gras) à l’égard du travail des jeunes, et se lira comme suit, à l’entrée en vigueur du futur règlement sur les mécanismes de prévention et de participation propres à un établissement :


« L’identification et l’analyse des risques pouvant affecter la santé des travailleurs de l’établissement, dont les risques chimiques, biologiques, physiques, ergonomiques et psychosociaux liés au travail, ainsi que de ceux pouvant affecter leur sécurité. Cette identification et cette analyse devant inclure les risques pouvant affecter particulièrement la santé et la sécurité des travailleurs âgés de 16 ans et moins. » (LMRSST, article 144, par. 1o du 2e alinéa)


Le même ajout sera aussi apporté à l’article 61.2 de la LSST (LMRSST, art. 147) pour l’identification des risques dans le plan d’action des entreprises comptant moins de 20 travailleurs.


« L’identification et l’analyse des risques pouvant affecter la santé des travailleurs de l’établissement, dont les risques chimiques, biologiques, physiques, ergonomiques et psychosociaux liés au travail, ainsi que de ceux pouvant affecter leur sécurité. Cette identification et cette analyse devant inclure les risques pouvant affecter particulièrement la santé et la sécurité des travailleurs âgés de 16 ans et moins. » (LMRSST, art. 154, en référence à la LSST, art. 62.1)


L’article 78 de la LSST, déjà modifié par l’article 154 du chapitre 27 des lois de 2021, se voit ajusté de nouveau par l’intégration au sixième alinéa de la notion du travail des enfants. Il indique, parmi les fonctions du comité de santé et de sécurité, celle de « participer à l’identification et à l’analyse des risques pouvant affecter la santé et la sécurité des travailleurs de l’établissement, incluant ceux pouvant affecter particulièrement la santé et la sécurité des travailleurs âgés de 16 ans et moins, et à l’identification des contaminants et des matières dangereuses présents sur les lieux de travail ».


Les fonctions du représentant à la santé et à la sécurité (LSST, art. 90; LMRSST, art. 163) sont aussi modifiées par l’ajout de spécifications (en gras) pour le travail des jeunes de moins de 16 ans, qui obligent l’employeur à « identifier les situations qui peuvent être source de danger pour les travailleurs incluant celles propres aux travailleurs âgés de moins de 16 ans ».


Finalement, l’article 97.3 ajouté à la LSST par les modifications de l’année 2021 (art. 167) subira une nouvelle modification. Ainsi, le premier paragraphe se lira comme suit (ajouts en gras) :


« L’agent de liaison en santé et en sécurité collabore à l’élaboration et à la mise en application du programme de prévention ou du plan d’action devant être élaboré et mis en application par l’employeur en adressant par écrit des recommandations à ce dernier. L’agent peut également faire des recommandations écrites sur l’identification des risques en milieu de travail, incluant ceux pouvant toucher particulièrement la santé et la sécurité des travailleurs âgés de 16 ans et moins, ainsi que des recommandations concernant les tâches qui ne devraient pas être effectuées par ceux-ci. L’employeur est tenu de répondre à une recommandation dans un délai de 30 jours. »


Précisons que l’article 18 de la LETE spécifie que, pour l’application des articles 288 à 290 du régime intérimaire de la LMRSST, « l’identification et, les cas échéants, leur analyse de risques doivent inclurent les risques pouvant affecter particulièrement les travailleurs de 16 ans et moins ».


Les recommandations faites par le représentant en santé et en sécurité et l’agent de liaison (LMRSST, art. 291 et 292) doivent aussi inclure « celles concernant les risques pouvant affecter particulièrement la santé et la sécurité des travailleurs âgés de 16 moins et moins et celles concernant les tâches qui ne devraient pas être effectuées par ceux-ci ».


Le futur règlement sur les mécanismes de prévention et de participation devra quant à lui tenir compte des « réalités propres aux travailleurs âgés de 16 ans et moins » (LETE, art. 19).


Enfin, notons que les dispositions de la LETE sont entrées en application le 1er juin 2023, sauf :

  • Pour l’article 3, qui est entré en vigueur le 1er septembre 2023.
  • Pour les articles 7, 8, 9, 10 et 11, qui prennent effet aux mêmes dates que l’entrée en vigueur des articles correspondants de la LMRSST, soit au plus tard le 6 octobre 2025.


Cependant, n’oublions pas que les articles 288 à 292 de la LMRSST mentionnés précédemment sont en application depuis avril 2022, en ce qui a trait au comité de santé et de sécurité, à ses fonctions, ainsi qu’à celles du représentant en santé et en sécurité, et de l’agent de liaison. La consignation de l’identification, de l’analyse, selon les cas, et des recommandations écrites à l’employeur, doit inclure les risques pouvant toucher les jeunes travailleurs, et ce, dès maintenant.


Conclusion


Respecter les obligations légales vis-à-vis le travail des jeunes est un défi de tous les instants, qui commence avant l’embauche et va bien au-delà de leur première journée en entreprise. Les jeunes de moins de 18 ans sont des adolescents en plein développement, tant physique, cognitif, émotionnel que social. Ils sont aussi très sensibles aux pressions sociales, mais pleins de bonne volonté, et ils souhaitent ardemment faire leurs preuves et être reconnus. La combinaison de ces divers facteurs et leur méconnaissance des réalités du monde du travail peuvent les amener à prendre des risques.


Leur intégration passe par une formation adaptée à leur réalité et à leurs modes de communication, une information disponible et transparente, et un encadrement (présence, soutien et reconnaissance). Entre autres, les faire participer à l’analyse de leur poste de travail ou de l’une de leurs tâches peut constituer un excellent moyen de les conscientiser à certains dangers. Préciser qu’un objet à soulever ne peut dépasser 25 % du poids du travailleur et, qu’en cas contraire, celui-ci doit utiliser les aides mécaniques disponibles pour éviter une blessure, est un exemple. Expliquer à un jeune salarié les conséquences de se trouver dans la ligne de tir lors de l’utilisation d’un couteau en est un autre.


Pour en savoir davantage sur le travail des jeunes, je vous invite à lire l’article de ma collègue Caroline Huot, paru dans cette même édition de Convergence SST, qui examine les risques psychosociaux de ce groupe.



RÉFÉRENCES


1. Travail agricole des enfants :


Louise Neveu, CRHAConseillère et formatrice en SST

Louise Neveu possède une longue expérience en SST. Elle a notamment travaillé pour les Imprimeries Québecor, la Ville de Montréal, et les firmes Aon et Momentum Santé et Sécurité, à titre de consultante, en plus d’avoir œuvré, entre autres, dans les domaines de l’agroalimentaire, des pâtes et papiers, de la sidérurgie et de la santé. Elle détient un baccalauréat de l’Université de Montréal (concentration en santé-sécurité) ainsi qu’un diplôme de deuxième cycle en gestion stratégique de la santé-sécurité de l’Université de Sherbrooke.