Les milieux de travail intergénérationnels et la SST

Par Lorena Fernández

Automne 2023 (vol. 39, no 2)

Plusieurs phénomènes ont transformé à vitesse grand V – et de façon radicale – la dynamique du marché du travail québécois au cours des dernières années : vague sans précédent de retraités, pénurie de main-d’œuvre, crise de la COVID-19, enjeux écologiques mondiaux, révolution numérique, conflits politiques internationaux, etc.


Conséquemment, les entreprises ont dû redéfinir leurs stratégies, adopter de nouveaux modèles d’affaires et innover. L’une de ces stratégies a consisté à accroître le bassin de travailleurs et de travailleuses, en misant sur des talents moins traditionnels, tels que les personnes préretraitées ou retraitées.


Aujourd’hui, le marché du travail québécois est plus diversifié et compte exceptionnellement sur la participation de six générations différentes, même si certaines d’entre elles sont plus actives que d’autres. Elles ont été définies comme suit par le Recensement de 2021 :

  • Génération de l’entre-deux-guerres (personnes nées de 1928 à 1945)
  • Baby-boomers (1946 à 1965)
  • Génération X (1966 à 1980)
  • Génération Y (1981 à 1996)
  • Génération Z (1997 à 2012)
  • Génération alpha (2013 à 2021)


Bien qu’il n’y ait pas au Québec de statistiques sur la population active âgée de moins de 15 ans et de plus de 65 ans, nous sommes témoins de leur contribution au marché du travail.


Une occasion à ne pas manquer en matière de SST!


Les individus de ces différentes générations peuvent être influencés par leurs contextes historiques respectifs (circonstances de natures sociale, économique, politique, environnementale, culturelle, etc.). Dans le monde du travail, ces influences se manifestent à travers la façon de travailler, de collaborer avec les supérieurs hiérarchiques et les collègues, de communiquer et de se comporter vis-à-vis la santé-sécurité. Cela étant, il ne faut pas généraliser. Il faut savoir que, quelle que soit la strate démographique à laquelle nous appartenons, chaque individu, selon ses expériences de vie, construit et développe aussi ses propres valeurs, principes, normes, etc.


Ainsi, en ce qui concerne la santé et la sécurité au travail, les jeunes générations commençant à peine à s’intégrer au marché du travail ont, évidemment, peu ou pas d’expérience et ignorent souvent les dangers et les risques professionnels. En revanche, les générations expérimentées sont davantage aux faits de la législation régissant la SST.


Les différences entre les générations influencent la culture organisationnelle et peuvent contribuer à l’entretien et au renforcement d’une culture positive en matière de santé et de sécurité. Mais elles peuvent aussi constituer une pomme de discorde lorsqu’elles sont mal interprétées, mal acceptées ou mal gérées (par l’ensemble des employés ainsi que par la direction).


Cela survient quand les efforts déployés par les gestionnaires se concentrent uniquement sur les similitudes entre les différents groupes d’âges, négligeant ainsi les besoins spécifiques de ceux-ci, et lorsque les perceptions, les mythes et les clichés, qu’ils soient positifs ou négatifs, deviennent des références indépassables, permettant l’attribution d’étiquettes à chaque génération. L’âgisme, par exemple, nous détourne ainsi de notre quête initiale, soit la prévention des lésions professionnelles.


L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) décrit ce terme comme suit : « L’âgisme regroupe les stéréotypes (la façon d’envisager l’âge), les préjugés (ce qu’inspire l’âge) et la discrimination (la façon de se comporter), dont on est soi-même victime ou dont autrui est victime en raison de l’âge. »


Mise en garde : l’âgisme touche toutes les personnes, tous âges confondus, et ses effets sont néfastes sur la santé, la sécurité et le bien-être du personnel, ainsi que sur l’équilibre organisationnel.


Comment promouvoir et maintenir un milieu de travail intergénérationnel sain et sécuritaire?


Promouvoir et maintenir une culture SST qui transcende les générations est une démarche qui n’est ni rapide ni facile. Mais il faut bien commencer quelque part! Voici certaines pistes pour orienter vos réflexions.


Analyser ses propres stratégies managériales

Les pratiques organisationnelles et de gestion sont souvent à l’origine des dynamiques intergénérationnelles malsaines, car elles ne s’ajustent pas aux nouveaux défis du marché du travail. Une réflexion s’avérera donc des plus bénéfiques.


S’engager en faveur de la diversité et de l’inclusion générationnelle

L’entreprise doit s’engager à :

  • Promouvoir une culture d’équité et d’inclusion qui valorise la diversité des âges au sein des équipes.
  • Garantir un environnement dans lequel chaque personne, indépendamment de son âge, se sent respectée et valorisée.
  • Répondre aux besoins particuliers liés à chaque groupe d’âges.
  • Offrir à l’ensemble des employés un accès équitable aux ressources adaptées à leur situation, favorisant ainsi :
    • La collaboration et la cohésion intergénérationnelle.
    • Le plein développement psychique et physique des enfants et des adolescents.
    • La réussite éducative (secondaire, collégial, universitaire).
    • Le développement et la progression professionnelle.
    • La prévention des lésions professionnelles.
    • L’intégration efficace et le maintien en emploi des personnes ayant des limitations fonctionnelles ou des incapacités.


Identifier les dangers, évaluer et analyser les risques

L’employeur a l’obligation de prendre les mesures nécessaires afin d’identifier, de contrôler et d’éliminer les dangers pouvant compromettre la santé et la sécurité de l’ensemble du personnel, notamment celles des salariés de 16 ans et moins, comme le précise la Loi encadrant le travail des enfants, adoptée le 1er juin 2023.


Les processus d’identification des dangers, d’évaluation et d’analyse des risques doivent être menés en tenant compte des différents groupes d’âges et des stades professionnels (début, milieu, fin et retour), ainsi que des salariés vulnérables. Par exemple, les individus de moins de 25 ans se trouvent en plein développement physique, psychologique et social. Ils ne sont pas nécessairement familiers avec le monde du travail ni habitués à ses dangers. Ceux qui présentent des contraintes physiques ou des difficultés associées au vieillissement doivent également être pris en compte. Gardons à l’esprit que ce processus est naturel et inévitable, mais qu’il est complexe et très variable d’un individu à l’autre.


En ce qui a trait aux risques psychosociaux des jeunes salariés, consultez l’article de ma collègue Caroline Huot dans la présente édition de Convergence SST.


Offrir des mesures d’adaptation raisonnables

L’employeur doit déployer tous les efforts raisonnables nécessaires pour mettre en œuvre des mesures d’adaptation et des ajustements en fonction des besoins liés aux capacités physiques et psychiques, aux compétences professionnelles et aux priorités, selon le stade de vie (enfance, adolescence, adulte et troisième âge) de chaque groupe d’âges (études-travail, travail-famille, travail–proche-aidance, etc.). À titre d’exemple, voici quelques mesures :

  • Postes de travail permettant le maintien d’une position assise ou debout durant l’exécution des tâches
  • Environnement de travail adéquatement éclairé
  • Écrans d’ordinateur de grande taille
  • Horaires de travail flexibles
  • Pauses et micropauses régulières
  • Tâches convenables (travaux légers, effort physique ou mental minime, etc.)


Sensibiliser et former

Démystifier et déconstruire les préjugés et les stéréotypes fondés sur l’âge requiert une sensibilisation accrue. Une formation continue à l’égard des défis auxquels chaque groupe d’âges peut être confronté au travail et des conséquences sur la santé-sécurité est aussi profitable. Mais au-delà de la sensibilisation, il faut apprendre à l’ensemble des salariés à gérer et à prévenir les comportements empreints d’âgisme ainsi que ceux qui mettent en danger la santé physique et psychique. La sienne, et celle de son entourage.


Pour favoriser et optimiser l’apprentissage, les formations doivent êtes données en tenant compte des préférences et des conditions de travail des employés (formations en présentiel, virtuelles, hybrides, asynchrones, etc.).


Soutenir et communiquer

Considérez la mise en place de programmes de mentorat et de mentorat inversé (relation interactive de soutien et d’apprentissage entre un mentor et un mentoré de différentes générations), de parrainage et de jumelage, afin de susciter les échanges intergénérationnels ainsi que l’apprentissage bidirectionnel, le transfert des savoirs et le partage d’expériences différentes en matière de SST.



Conclusion


La diversité multigénérationnelle dans le monde du travail n’est pas une nouvelle mode ni une tendance passagère. Il s’agit en fait d’un invariant – certes plus prononcé de nos jours – qui entraîne plusieurs défis et enjeux, notamment en matière de santé et de sécurité au travail.


Reconnaître l’hétérogénéité des âges au sein de notre main-d’œuvre est le premier pas pour aller de l’avant et bâtir des environnements harmonieux. Cependant, gérer adéquatement ce phénomène n’est pas qu’une question de bonne volonté. Cela exige avant tout l’engagement de la haute direction et la mise à disposition d’une multitude de ressources.



RÉFÉRENCES


Lorena FernándezConseillère et formatrice en SST

Lorena Fernández étudie particulièrement la question de l'équité, de la diversité et de l'inclusion (EDI) dans les organisations, notamment en ce qui a trait au personnel issu de l'immigration. Elle est notamment titulaire d’un diplôme de deuxième cycle en gestion globale de la SST (Université de Sherbrooke), en plus d’avoir précédemment obtenu un DESS en psychologie industrielle (Pontificia Universidad Catolica del Ecuador).